Ça se passe vendredi en soirée, ce n’est pas à tout casser pour un début de fin de semaine. J’ai un taxi qui roule bien mais qui laisse entrer dans l’habitacle beaucoup d’émanations. J’ai mal à la tête et mon attitude n’est pas des plus conciliantes sur la route et envers mes passagers. Ça arrive.
Je roule sur Notre-Dame près de Guy quand j’aperçois ce type avec le bras levé. Je souris car on dirait qu’il sort d’un mauvais film de gangster. Plus je m’approche plus je me demande si ce n’est pas déjà l’Halloween. Une espèce de croisement entre Al Capone et les méchants dans Dick Tracy ou Roger Rabbit. Une caricature quoi. Sauf que quand il embarque dans le véhicule je me rends vite compte que le gars se prend vraiment au sérieux. Il m’ordonne avec un faux accent italien d’aller un peu plus loin sur Notre-Dame et d’attendre dans une entrée de garage. Il est accompagné d’une jeune fille au regard ahuri qui a l’air de vouloir être ailleurs. Il la traite comme un sac à merde en lui demandant dans sa parodie du « Parrain » pourquoi elle a oublié quelque chose qui m’échappe dans l’appart.
Faque j’attends cet abruti qui se la joue maffieux près d’une dizaine de minutes et je n’ai vraiment pas la tête à ça. La fille assisse derrière ne dit pas un mot et en ce qui me concerne ça me convient parfaitement. Quand mon truand reviens il ouvre la porte à côté de moi, prends ses aises, recule la banquette, l’avance, me regarde l’air de dire c’est quoi ce taxi de merde, il fait son cirque et je l’observe en serrant les dents.
Après quelques secondes de son manège, il se tourne vers la fille et lui dit de débarquer.
Les deux se dirigent vers la rue pour héler un autre taxi.
Avec le recul je me dis que j’aurais du les laisser partir et passer à autre chose. Bon débarras quoi! Mais sur le moment, je suis plutôt énervé et je sors du taxi.
- Où c’est que tu penses que tu t’en vas de même ? Prends un autre taxi si tu veux mais tu vas me payer ce que tu me dois ! Y’avait pas loin de 7$ au compteur. Il retraverse la rue en roulant les mécaniques et me réponds en laissant tomber son accent bidon :
- Tu penses que je vais payer parce que t’attends ?
Pis qu’est-ce tu vas faire sinon? Appeler la police?
Là j’ai eu comme une grosse envie d’y sauter dans face. Mais ma frustration ne s’est exprimée qu’en parole. Erreur…
- Non mais j’pense que je vais te clancher…
Le gars en attendait pas tant. Il m’a sorti deux crochets de droite avant de s’éloigner un peu. Je suis sonné mais pas assez pour ne pas répliquer :
- Tu frappes comme une femelle.
Évidemment je suis un peu frustré de ne pas y avoir servi une correction digne d’un film de Scorsese mais j’ai la nette impression que ma réplique a eu plus de portée qu’un uppercut de la gauche. Il revient vers moi qui bêtement regarde plutôt du côté de la rue pour voir s’il n’y aurait pas un confrère ou une police qui passeraient par là.
Il me alors sert un autre crochet qui m’atteint derrière la tête. Encore là je ne passe pas aux gestes mais prends mon cellulaire et appelle le 911 en lui disant qu’il est stupide car je sais où il reste. J’ai beau avoir reçu trois coups de poing sur la gueule, je reste stoïque. Et plus je reste calme, plus il s’énerve. Il me dit qu’il a de la famille dans la maffia, etc. etc.
- C’est ça ouais… Allo! Pouvez-vous m’envoyer une police au coin de…
Je n’ai pas eu le temps de filer les coordonnées qu’il m’arrache mon téléphone et le « pitche » aux bouts de ses bras dans la rue. J’me dirige alors vers mon véhicule pour appeler un code 13. Mon agresseur en profite pour partir en courant. On dirait que j’émerge et commence enfin à réagir, mais pas de la bonne façon. Je démarre le taxi et pars après lui. En tournant le coin de Guy je le vois filer au travers le parking derrière les condos. La fille qui a toujours le même air ahuri est sur le trottoir et je lui dis qu’elle est dans la merde.
- J’le connais même pas c’te gars là ! Visiblement elle a l’air dépassée par ce qui se passe et on dirait qu’elle est sur le point de pleurer.
Je fais demi-tour pour essayer de rattraper le mec de l’autre côté du stationnement. Je bouillonne mais ne réfléchis pas trop clairement. Tout ça s’est passé très vite, l’adrénaline pompe en masse et dans ma tête j’me vois déjà écraser le gars avec mon char. Je fais des demi-tours pour essayer de le retrouver et quand je l’aperçois il se dirige vers moi. J’ai le sentiment qu’il ignore que c’est moi. Il veut juste se pousser dans un autre taxi. Quand j’arrive à sa hauteur, je passe proche de commettre l’irréparable mais poursuis mon chemin. Toutefois je décide de lui croquer le portrait et sors mon appareil photo. Je m’arrête un peu plus loin et mon « gangster » qui ne semble toujours pas m’avoir reconnu cours dans ma direction pour pouvoir monter à mon bord. Lorsqu’il arrive à la hauteur du véhicule le flash de la caméra éclate et je redémarre aussi sec. Il a quand même eu le temps d’ouvrir la porte de derrière. Je m’arrête donc de nouveau et ré-embraye à reculons pour donner assez d’élan au taxi pour que la porte se ferme d’elle-même en refreinant. Encore là ce n’est pas l’envie qui manque d’aller le happer. Mais la raison l’emporte sur l’émotion. J’ai sa photo, j’ai une petite idée de l’endroit où il reste, il n’a pas fini avec moi.
Je redécolle de là toujours assez bouillant et j’essaie tant que bien que mal de faire descendre la pression. Ça ne prend pas une minute que trois jeunes me hèlent un peu plus loin devant l’ÉTS direction le Vieux Montréal. J’en suis reparti avec une autre course et mon idée première d’aller au poste de police le plus près s’est vite envolée par celle d’aller chez moi me chercher une couple de Tylenol. Avant d’y passer, je m’arrête sur les lieux de l’incident pour récupérer la puce-mémoire de mon téléphone dont les pièces sont dispersées sur Notre-Dame.
J’observe mon visage dans le miroir et je ne vois pas trop de dommages. Une marque rouge dans le cou, une petite « prune » derrière l’oreille, rien pour aller perdre une nuit à l’urgence. Aujourd’hui je suis content de ne pas avoir mal aux mains pour vous écrire cette aventure. Mais je ne suis pas très fier de moi-même. Je suis convaincu que si j’avais gardé mon calme, rien de cela ne serait arrivé. Après tout, ce sont mes menaces qui ont mis le feu aux poudres. J’ai manqué une bonne occasion de me la fermer. Mais bon, j’ai la tête dure et j’en ai vu d’autres.
Ça fait quand même du bien d’en parler...