Cédé coincé
Le boss avait l'air content de me revoir. Pour souligner mon retour, il m'a loué un taxi avec pas mal de vécu dans les essieux. J'ai redécouvert les rues de la ville à la dure, mettons. Mais bon, je ne recommencerai pas à chialer dès la première nuit, ça risquerait d'être long longtemps... Puis pour être franc, même si la ville se trouve dans un état de décomposition avancée, je suis quand même content de la retrouver. Ça me manquait de slalomer entre les cratères en regardant la lune danser entre les gratte-ciel.
Mes clients aussi m'ont manqué. Ça va amener un peu d'eau au moulin. D'ailleurs, y'a pas fallu que j'attende longtemps pour trouver quelque chose à vous raconter.
La femme attendait sur le coin de la rue en avant de chez moi. Je m'étais arrêté pour casser la croûte et me faire un bon café bien serré pour finir la nuit.
— Pouvez-vous juste m'amener en haut de la côte s"il vous plaît monsieur? Me lança-t-elle en s'approchant lentement mais sûrement vers le taxi.
Elle portait un accoutrement digne des plus beaux rassemblements hippies des années 70. Pas le genre post-baba, néo-grano, alter-mondialisto à la mode. Non! Vraiment les 14 jupes une par-dessus l'autre, les sandales avec des bas de laine pis une espèce de blouse fleurie qu'elle aurait très certainement recouverte d'un poncho en macramé s'il n'aurait pas fait si chaud. Elle avait une espèce de sac fait en « patchwork» indéterminé et une flûte à bec en bois qu'elle avait probablement gossée de ses propres mains en 1968. Pendant deux secondes et quart, j'me suis dit qu'elle avait dû dropper un tab d'acide de trop dans le bon vieux temps avant de réaliser que c'était soir de pleine lune. La nuit de tous les allumés. Et là, j'étais en compagnie d'un spécimen éminent.
Elle était un peu pas mal perdue. Je savais que je ne serais pas payé pour cette course, mais je l'ai quand même invité à monter à bord ne serait-ce que pour lui éviter de monter la côte à pied. Une fois à bord elle s'est mise à me jaser de manière décousue pis j'essayais de me montrer intéressé même si je ne comprenais pas trop ce qu'elle me racontait. Dans le milieu de la pente du tunnel Georges-Vanier elle fouille dans son sac en me disant qu'elle est musicienne, en sort un cédé de son opus pour flûte à bec et j'sais pas trop et sans rien me demander elle l'insère dans le lecteur de l'auto. S'en suit un silence.
Rien ne sort des hauts -parleurs et après maints trifouillages, le cédé ne sort plus du lecteur. Je m'en doutais et je lui aurais expliqué si elle m'en avait laissé le temps que ce n'était pas une bonne idée de mettre de quoi là dedans sinon du café, des reçus, des cennes noires, des déchets, tout, mais pas de cédés! C'est un taxi de flotte ça madame pas une limo! Mais j'épargne ma salive. Elle ne m'aurait pas entendu, trop occupée à zigonner après le bouton "eject" qu'elle ne lâchera plus jusqu'en haut de la maudite côte.
Évidemment, ça sent la catastrophe. Je sens venir la crise. Le cédé de c'te vieille freak est coincé et ça frôle la lèse-majesté. Autant le disque compact refuse de sortir du lecteur, autant elle refuse de sortir du taxi. Sauf que contrairement au cédé, la hippie commence à émettre des sons discordants. Flûte!
Elle veut que je lui paye son disque et ça risque de niaiser ad vitam aeternam, Je fouille alors dans mes poches et sort une poignée de change. Je prends une couple de piasse et lui tends en lui mentant que la course qu'on vient de faire coûte au moins dix dollars. Alors qu'elle s'apprête à protester, j'ajoute sèchement qu'elle peut laisser faire le pourboire et qu'elle peut garder le boîtier de son disque. Elle est sortie du taxi en maugréant et s'est éclipsée. La lune ne tournait pas pour elle ce soir-là...
Le disque est toujours coincé dans le lecteur, si j'arrive à mettre la main dessus, j'vous en fais tous une copie! ;-)
Bonne nuit.
Mes clients aussi m'ont manqué. Ça va amener un peu d'eau au moulin. D'ailleurs, y'a pas fallu que j'attende longtemps pour trouver quelque chose à vous raconter.
La femme attendait sur le coin de la rue en avant de chez moi. Je m'étais arrêté pour casser la croûte et me faire un bon café bien serré pour finir la nuit.
— Pouvez-vous juste m'amener en haut de la côte s"il vous plaît monsieur? Me lança-t-elle en s'approchant lentement mais sûrement vers le taxi.
Elle portait un accoutrement digne des plus beaux rassemblements hippies des années 70. Pas le genre post-baba, néo-grano, alter-mondialisto à la mode. Non! Vraiment les 14 jupes une par-dessus l'autre, les sandales avec des bas de laine pis une espèce de blouse fleurie qu'elle aurait très certainement recouverte d'un poncho en macramé s'il n'aurait pas fait si chaud. Elle avait une espèce de sac fait en « patchwork» indéterminé et une flûte à bec en bois qu'elle avait probablement gossée de ses propres mains en 1968. Pendant deux secondes et quart, j'me suis dit qu'elle avait dû dropper un tab d'acide de trop dans le bon vieux temps avant de réaliser que c'était soir de pleine lune. La nuit de tous les allumés. Et là, j'étais en compagnie d'un spécimen éminent.
Elle était un peu pas mal perdue. Je savais que je ne serais pas payé pour cette course, mais je l'ai quand même invité à monter à bord ne serait-ce que pour lui éviter de monter la côte à pied. Une fois à bord elle s'est mise à me jaser de manière décousue pis j'essayais de me montrer intéressé même si je ne comprenais pas trop ce qu'elle me racontait. Dans le milieu de la pente du tunnel Georges-Vanier elle fouille dans son sac en me disant qu'elle est musicienne, en sort un cédé de son opus pour flûte à bec et j'sais pas trop et sans rien me demander elle l'insère dans le lecteur de l'auto. S'en suit un silence.
Rien ne sort des hauts -parleurs et après maints trifouillages, le cédé ne sort plus du lecteur. Je m'en doutais et je lui aurais expliqué si elle m'en avait laissé le temps que ce n'était pas une bonne idée de mettre de quoi là dedans sinon du café, des reçus, des cennes noires, des déchets, tout, mais pas de cédés! C'est un taxi de flotte ça madame pas une limo! Mais j'épargne ma salive. Elle ne m'aurait pas entendu, trop occupée à zigonner après le bouton "eject" qu'elle ne lâchera plus jusqu'en haut de la maudite côte.
Évidemment, ça sent la catastrophe. Je sens venir la crise. Le cédé de c'te vieille freak est coincé et ça frôle la lèse-majesté. Autant le disque compact refuse de sortir du lecteur, autant elle refuse de sortir du taxi. Sauf que contrairement au cédé, la hippie commence à émettre des sons discordants. Flûte!
Elle veut que je lui paye son disque et ça risque de niaiser ad vitam aeternam, Je fouille alors dans mes poches et sort une poignée de change. Je prends une couple de piasse et lui tends en lui mentant que la course qu'on vient de faire coûte au moins dix dollars. Alors qu'elle s'apprête à protester, j'ajoute sèchement qu'elle peut laisser faire le pourboire et qu'elle peut garder le boîtier de son disque. Elle est sortie du taxi en maugréant et s'est éclipsée. La lune ne tournait pas pour elle ce soir-là...
Le disque est toujours coincé dans le lecteur, si j'arrive à mettre la main dessus, j'vous en fais tous une copie! ;-)
Bonne nuit.