11.4.07

Des peaux de nuit - L'écumeur des vides

Au fil des nuits, Montréal se peuple d'une faune étrange.

Souvent, des spécimens tout à fait particuliers de cet écosystème montent à bord de mon taxi. Plus souvent encore, je profite de mon observatoire privilégié pour regarder ces individus évoluer dans leur habitat naturel.

La rue.

On y trouve entre autres, des ours mal léchés cherchant un peu de miel après des hivers trop longs et des loups solitaires hurlant à la lune. On y voit de chouettes oiseaux de nuit faisant le pied de grue, des poules de luxe et d'autres de bas étage. On y voit aussi quelques oiseaux de passage qui viennent se brûler les ailes. Il y aussi des chiens, des porcs, des chattes en chaleur, des rapaces, des requins, des rats, des hyènes guettant des proies faciles. On y trouve aussi parfois des êtres pourvus d'humanité.

Participant et témoin de cet environnement hétéroclite, je vais tel le taxidermiste, figer de temps à autre avec mes mots, ces peaux de nuits. Ces âmes errantes qui défilent dans Montréal, qui en peuplent à la fois les rues et mon imaginaire.

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Il ne se passe pas beaucoup de nuits sans que j'aperçoive cet homme déambuler dans les rues de la ville. Inlassablement, il marche, marche et marche encore. Il porte en bandoulière un grand sac de sport qui donne à sa cadence une claudication peu banale. Il marche seul, la tête baissée vers le trottoir et va de poubelle en poubelle pour emplir son sac de bouteilles et de canettes vides. Ça fait bientôt quinze ans que je le vois écumer Montréal avec son sac. Nuit après nuit, il arpente minutieusement été comme hiver, beau temps, mauvais temps, la "Catherine", la "Main" et la Saint-Denis. Une routine peu banale faite de pas et de cinq cennes.

Parfois je m'arrête près de lui pour lui tendre une bouteille vide que j'accompagne de quelques pièces. Il me remercie d'un signe de tête, mais jamais je n'ai entendu sa voix. Dans son regard hagard, on y voit quand même des yeux qui sont loin d'être éteints. Dieu sait ce qui lui passe par la tête. Il rêve peut-être qu'il navigue en solitaire sur les océans du monde allant d'île en île cherchant des messages dans des bouteilles que les vagues y auraient déposées. Peut-être marche-t-il pour oublier...

J'essaie en vain de calculer le nombre de kilomètres qu'il a accumulé dans son vagabondage. Du nombre de paires d'espadrilles qu'il a traversé. J'aime penser qu'à force de fouiller comme ça dans chaque poubelle qu'il croise, qu'il détient une sorte de connaissance intime de l'humain. De ce qui en reste. J'aime penser qu'il est le dépositaire d'un savoir unique acquis par son errance. J'aime penser que cette routine qu'il s'impose est le prix à payer pour ne pas se faire avaler par la normalité. Le prix à payer pour préserver sa liberté. J'aime à penser que cet homme est un grand poète et que la nuit où il disparaîtra des rues de la ville, je crois qu'elle perdra un de ses plus dignes représentants.

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17 Comments:

Blogger Léa said...

Et si cet homme disparaissait a jamais... Est ce que quelqu'un s'en renderais compte?

J'en ai des frissons dans le dos...

Merci!

4/11/2007 8:23 AM  
Blogger moi m'aime said...

Merci..

4/11/2007 9:09 AM  
Blogger Sei naru kage no senshi said...

La tragédie de l'humanité tient dans le fait que les déchets des uns sont les richesses des autres...

4/11/2007 11:09 AM  
Blogger Chroniques Blondes said...

Ton billet me fait penser au très beau film de Bernard Hémond "Ceux qui ont le pas léger meurent sans laisser de traces"...

Grâce à toi, il y a une trace.

4/11/2007 12:12 PM  
Blogger Maiken said...

Pour le communs des mortels, ces gens sont déjà morts, invisibles, des zombis, à qui on lance parfois une poignée de 30 sous...je suis le commun des mortels. Osez me dire que vous ne l'êtes pas, au moins un peu. C'est triste mais c'est aussi ça la vie.

4/11/2007 10:15 PM  
Blogger En direct des îles said...

Il marche, il marche, tel le Juif errant, il traverse l'histoire, cette fois sous la plume de Pierre-Léon.
Fascinant personnage, ce marcheur qui de nuit en nuit refait sans cesse le même voyage à travers les rues de Montréal...

4/12/2007 7:20 AM  
Blogger Loula la nomade said...

Bonjour Pierre-Léon,
Tojours dit avec beaucoup de sensibilité. Merci!
Mwah

4/12/2007 8:02 AM  
Blogger Marchello said...

Ça c'est un vrai recycleur. Imaginer que ça prends 100 canettes pour faire un $5.00. Ho parfois il doit bien en trouver une grosse à $0.20 mais d'ordinaire..!

4/12/2007 2:23 PM  
Blogger aigle blanche said...

Ces êtres qui peuplent notre Montréal urbain, ces humains aux allures peu ordinaire font que cette ville m'attire toujours malgré mon exil en balieue. Ces hommes et ces femmes, qui savent de la vie ce que nous ignorons. Qui goûte de la sueur de leur front le sel de la vie. Merci de partager ces histoires.

4/12/2007 7:32 PM  
Blogger Folly said...

Merci pour votre billet. Lorsque j'étais au secondaire, un mec ramassait les canettes vides dans le hall de l'école et certains élèves lançaient des pièces de monnaies pour rire de lui. Sans parler, il ramassait l'argent.

Un bon jour, il est arrivé à l'école pour ramasser les canettes et les sous en.. scooter! Je me souviens encore des visages de quelques cons qui auraient bien aimé reprendre leur argent!

4/13/2007 12:51 PM  
Blogger Gilk said...

Quand on pense que l'itinérance est en progression à Montréal, et en banlieue même lointaine, on se dit que ce type aura bientôt plein d'amis avec qui partager son triste sort.

4/13/2007 2:18 PM  
Blogger Charles Olivier said...

J'ai vu votre livre au salon du livre, il me semble très intéressant. J'aime lire vos messages sur votre blog je les dévore! Votre style d'écriture est... très... bon!

4/13/2007 10:09 PM  
Blogger johanne said...

merci pour cet ecumeur des vides...

4/14/2007 11:40 PM  
Blogger 4494 Comète said...

Merci, votre texte est magnifique, j'ai toujours eu beaucoup de respect pour les "chiffonniers" et je suis heureuse de rencontrer quelqu'un qui voit plus loin que les apparences.

4/15/2007 10:49 AM  
Blogger REGOR said...

Raccorder cet homme au monde par votre blog, magnifique !!
Combien de gens se sentent vide que personne ne les raccordent au monde.
Merci pour tous ceux là aussi !!

4/15/2007 10:55 AM  
Blogger Unknown said...

merci , simplement merci

4/15/2007 7:03 PM  
Blogger DjOu said...

Ahh les itinérants.
Beaucoup trop nombreaux pour le nombre de ressources disponible.

Je suis étudiante en enseignement des arts à l'université et depuis un an je fait un stage dans un centre de jour pour itinérant de montréal et je doit vous avouer que c'est sans aucun doute l'expérience la plus enrichissante que j'ai pu vivre de ma vie.J'ai réalisé a quel point nous (en tant que société) avons des préjugés énormes face a cette communauté. Sachez qu'ils ne sont pas si malheureux dans leur situation, Certain même ont CHOISI de vivre dans la rue. Aujourd'hui je vous demande une chose... et remercie pierre-leon d'avoir ouvert le sujet si magnifiquement... arreter de les juger... arreter de les ignorer... ils sont vivant comme vous et moi... quand il vous queterons dans la rue... vous pouvez leur donner un trente sous si vous le faites de bon coeur, mais le plus important, ce n'est pas le trente sous... mais bien le sourire... l'attention que vous porter a cet individu, sans le savoir vous aider à l'amélioration de son estime personel...et lui ouvrer un peu plus la porte ... la porte de cette société qui les ignores et les juges constaments.

Si vous voulez avoir des photos d'oeuvres d'itinérants et meme des liens vers des sites pour les itinérants, visiter mon blogue (pas aussi complet que le tien pierre-leon ;) )
www.lanecdote.blogspot.com...
vous n'en croirez pas vos yeux.

4/28/2007 6:54 PM  

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