Pierre qui roule...
Je m'arrête sur le coin de Berri et Sainte-Catherine pour déposer un client. Alors qu'il me règle le prix de la course recule vers moi un homme en fauteuil roulant qu'il pousse à l'aide de ses pieds. L'homme à bord cherche de la monnaie et prend son temps. Déjà, j'ai engagé la conversation avec l'homme qui cherche à formuler une phrase que j'ai devinée.
— Vous avez besoin d'un taxi?
Il fait oui de la tête. Son bras replié sur son épaule suit le même mouvement et un sourire se dessine sur son visage.
— Ça ne sera pas très long. J'éteins le moteur, car mon client n'a toujours pas fini de trouver son change dans le fond de ses poches. D'ailleurs si je peux ouvrir ici une petite parenthèse : quand vous prenez le taxi, préparez donc le montant de la course avant d'arriver à destination. Un petit deux minutes ici, un petit deux minutes là, ça fera toujours ça en économie d'essence. OK, je referme.
Deux minutes plus tard, j'ouvre le coffre et je sors dans le sillage de mon client, contourne l'auto et m'approche du handicapé. Je m'assure qu'il comprend que je ne suis pas un transport adapté et qu'il va falloir qu'il s'adapte. J'approche son fauteuil roulant le plus proche de la portière, recule la banquette au maximum et aide l'homme à monter. Il n'est pas gros, mais est plus lourd que j'aurais cru. J'arrive à l'asseoir, je rentre ses pieds à l'intérieur du taxi et l'aide à se remonter un peu sur le siège. Pendant cette opération, je continue de lui parler et lui demande si tout est correct. Il m'assure que oui, mais est essoufflé par l'effort qu'il vient de fournir. Je déplie ensuite le fauteuil pour le mettre dans le coffre et reviens derrière le volant.
Encore essoufflé, il tente de me dire où il veut que je l'amène. Je ne comprends rien et tente de décoder. Quelque chose et Masson? Non. Hôpital Rosemont? Non. Je lui demande s'il n'a pas un papier avec l'adresse dessus. Non. Peu à peu, il reprend son souffle et je parviens à comprendre théâtre. Théâtre Outremont? Oui!
Eurêka! Je peux décoller.
Chemin faisant, je parviens à comprendre de plus en plus ce qu'il me raconte. Je songe que bien souvent, j'ai des clients qui sortent des bars qui s'expriment à peine mieux que cet homme souffrant de paralysie cérébrale. Lentement, il m'apprend qu'il est parti de Trois-Rivières pour venir voir son artiste préféré : Georges Moustaki. On parle un peu de ce grand humaniste de la chanson puis il me raconte qu'il travaille comme animateur au cégep d'où il vient. Je suis impressionné par sa vivacité d'esprit et par son sens de l'humour. Ensuite, il me pose des questions sur mon job. Je répète la plupart des ses questions pour être sûr de comprendre et je m'en excuse auprès de lui. Ça le fait rire. Alors qu'au départ, j'arrivais à peine à comprendre deux mots de ce qu'il me disait, j'ai maintenant une sacrée bonne conversation avec cet homme intéressé et intéressant. Il me dit qu'il a beaucoup voyagé et qu'il a même écrit des livres sur ses pérégrinations. Il me demande mes coordonnées pour qu'il m'en fasse parvenir un exemplaire. Je suis vraiment sous le charme.
À destination, je me gare juste sur le coin. Pendant qu'il cherche son argent, je sors de mes affaires un exemplaire de mes propres déambulations et pour souligner cette belle promenade, je lui offre mon livre en cadeau. Il semble content, en tout cas moi je le suis. Je l'aide ensuite à retrouver ses propres « roues» et le roule jusqu'à la porte du théâtre. Il me remercie encore et encore. Je lui dis que tout le plaisir était pour moi et me rends compte qu'on ne s'est toujours pas présenté.
— Je m'appelle Pierre! Me dit-il difficilement, de nouveau essoufflé.
— Es-tu sérieux? Je m'appelle Pierre aussi!
Un autre beau hasard de la route...
On s'est serré la pince et je suis retourné dans mon taxi, rouler dans le soleil couchant.
— Vous avez besoin d'un taxi?
Il fait oui de la tête. Son bras replié sur son épaule suit le même mouvement et un sourire se dessine sur son visage.
— Ça ne sera pas très long. J'éteins le moteur, car mon client n'a toujours pas fini de trouver son change dans le fond de ses poches. D'ailleurs si je peux ouvrir ici une petite parenthèse : quand vous prenez le taxi, préparez donc le montant de la course avant d'arriver à destination. Un petit deux minutes ici, un petit deux minutes là, ça fera toujours ça en économie d'essence. OK, je referme.
Deux minutes plus tard, j'ouvre le coffre et je sors dans le sillage de mon client, contourne l'auto et m'approche du handicapé. Je m'assure qu'il comprend que je ne suis pas un transport adapté et qu'il va falloir qu'il s'adapte. J'approche son fauteuil roulant le plus proche de la portière, recule la banquette au maximum et aide l'homme à monter. Il n'est pas gros, mais est plus lourd que j'aurais cru. J'arrive à l'asseoir, je rentre ses pieds à l'intérieur du taxi et l'aide à se remonter un peu sur le siège. Pendant cette opération, je continue de lui parler et lui demande si tout est correct. Il m'assure que oui, mais est essoufflé par l'effort qu'il vient de fournir. Je déplie ensuite le fauteuil pour le mettre dans le coffre et reviens derrière le volant.
Encore essoufflé, il tente de me dire où il veut que je l'amène. Je ne comprends rien et tente de décoder. Quelque chose et Masson? Non. Hôpital Rosemont? Non. Je lui demande s'il n'a pas un papier avec l'adresse dessus. Non. Peu à peu, il reprend son souffle et je parviens à comprendre théâtre. Théâtre Outremont? Oui!
Eurêka! Je peux décoller.
Chemin faisant, je parviens à comprendre de plus en plus ce qu'il me raconte. Je songe que bien souvent, j'ai des clients qui sortent des bars qui s'expriment à peine mieux que cet homme souffrant de paralysie cérébrale. Lentement, il m'apprend qu'il est parti de Trois-Rivières pour venir voir son artiste préféré : Georges Moustaki. On parle un peu de ce grand humaniste de la chanson puis il me raconte qu'il travaille comme animateur au cégep d'où il vient. Je suis impressionné par sa vivacité d'esprit et par son sens de l'humour. Ensuite, il me pose des questions sur mon job. Je répète la plupart des ses questions pour être sûr de comprendre et je m'en excuse auprès de lui. Ça le fait rire. Alors qu'au départ, j'arrivais à peine à comprendre deux mots de ce qu'il me disait, j'ai maintenant une sacrée bonne conversation avec cet homme intéressé et intéressant. Il me dit qu'il a beaucoup voyagé et qu'il a même écrit des livres sur ses pérégrinations. Il me demande mes coordonnées pour qu'il m'en fasse parvenir un exemplaire. Je suis vraiment sous le charme.
À destination, je me gare juste sur le coin. Pendant qu'il cherche son argent, je sors de mes affaires un exemplaire de mes propres déambulations et pour souligner cette belle promenade, je lui offre mon livre en cadeau. Il semble content, en tout cas moi je le suis. Je l'aide ensuite à retrouver ses propres « roues» et le roule jusqu'à la porte du théâtre. Il me remercie encore et encore. Je lui dis que tout le plaisir était pour moi et me rends compte qu'on ne s'est toujours pas présenté.
— Je m'appelle Pierre! Me dit-il difficilement, de nouveau essoufflé.
— Es-tu sérieux? Je m'appelle Pierre aussi!
Un autre beau hasard de la route...
On s'est serré la pince et je suis retourné dans mon taxi, rouler dans le soleil couchant.
22 Comments:
Ouuuuui! Je connais le bonhomme! Il laisse des marques dans le coeur des cégepien-nes depuis plus de 20 ans.
Contente de savoir que je le reverrai bientôt!
bucheronne XXX
Y a des jours Pierre où certains événements nous laisse encore espérer que la vie va pas si tant pire pan toute, merci beaucoup.
Je travaille avec un bonhomme comme ça, probablement pas aussi avancé parce qu'il parle assez bien, mais je le regarde vivre et je me demande si moi j'aurais son courage. Merci du témoignage
Souvenirs souvenirs... le prof le plus passionnant de mes études souffrait lui aussi de paralysie cérébrale. Il nous enseignait la littérature française. Je lui dois ma passion pour l'écriture - entre autres.
Jamais prof ne fut plus respecté que lui à l'école que je fréquentais - et pourtant, un groupe d'ados de 15 ans et plus, c'était quelque chose à gérer!
Il a pour toujours une place spéciale dans ma mémoire...
Premièrement, on ne "souffre" pas de paralysie cérébrale ou de la plupart des déficiences physiques ou sensorielles qu'on peut retrouver chez bon nombre de personnes. On "souffre" beaucoup plus de cette perception de l'autre qu'on puisse "souffrir". Deuxièmement, on est pas un "handicapé" mais plutôt une personne handicapée. La différence est pas mal importante.
De mon bord PL je crois que tu est un arnaqueur et que tu fais justeécrire de beaux texte qui te mette en valeur. Tu retire une gloire avec ce blogue car ta vie est rempli de misère. ( taxi ).
Bien sur que tu effacera mon papier pour ne pas détruire ta réputation. et,ce sans rancune
En tous cas Gratien Gélinot, ce n'est pas vous qui convaincra qui que ce soit sur ce blogue que ce "taximan" possède une mauvaise réputation.
Pierre Léon a la gloire qu'il mérite et il ne fait que nous décire cette belle ville sous ses projecteurs. On aime le lire et tous les témoignages écrits depuis l'existence de ce blog le prouvent.
Arnaqueur vous dites ? Je vous retourne le miroir !
J'ai fait mon cegep à Trois-Rivières et dès que j'ai commencé à lire ton article j'ai pensé à Pierre Grenier. Il est vraiment suprenant cet homme.
http://www.cegeptr.qc.ca/services_et_departements/tech-doc/realisations/2002-12sebas_caro/benevolat2.html#Pierre Grenier
Gratien Gélinot (vrai beau nick, franchement!), P.-L. nous raconte une ride entre 100 misérables, probablement. Laisse-le donc voir la beauté au travers du reste!
Il est chez lui et conte ce qu'il veut. Sinon, la toile est vaste!
Pierre-Léon : très beau papier, comme toujours!
Djo
Alors la,les souvenirs qui remonte.J'ai fait moi aussi mon cegep à Trois-Rivières.Ce bonhomme est une source de vie.Une gentillesse grande comme le monde.Les heures à discuter avec lui à la Broue Lib sont encore dans ma tête.Ceux qui ont étudier au cegep de Trois-Rivières savent de quel endroit je parle.Je ne savait pas qu'il travaillait encore.
André
Dès le début de ma lecture, j'ai pensé à Pierre, du Cégep de Trois-Rivières. Quelle ne fut pas ma surprise de voir qu'il s'agissait vraiment de lui!
Ce Pierre-là est une institution par ici. Un Pierre fier et allumé qui ne se laisse pas démonter lorsque des jeunes lui lancent des répliques plutôt tristes. Un Pierre qui ne fait pas pitié et qui repousse sans cesse ses limites.
Effectivement, tu as rencontré un grande personne, du genre qui laisse une impression de bonheur sur son passage!
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Cher Taximan,
Que d'émotions tu arrives à véhiculer dans tes textes. Dans celui-là particulièrement.
Merci,
Ta Fan # 1
Ahhh j'aime ton histoire comme toujours. Chaque fois que je prends un taxi, j'espère que ce sera toi...pas encore ;-)
Continue PL :-)
Cher Monsieur "Un taxi la nuit", je ne comprend nullement les commentaires négatifs qui vous sont adressés. Je suis une Montréalaise et, chaque fois où j'ai eu l'occasion de vous lire, j'y ai découvert quelque chose de nouveau sur ma ville. Vous avez une façon si simple et si réelle de décrire la vie, ces gens qui habitent ou qui sont de passage à Montréal, tel ce Pierre qui est admiré de tout ceux qui l'ont connu. Je ne prend pas souvent le taxi, mais en espérant que ce soit vous la prochaine fois ...
Salut pl. J'ai lu ton texte dans les Iles-de-la-Madeleine, deux jours avant de retourner en ville. Et je peux te le dire, t'es aussi tripant à lire au beau milieu du Golfe St-Laurent...
Pierre Léon,
c'est rare que je commente chez-vous, mais j'aime vos textes, et celui-ci est une belle expérience pour vous, et une belle récompense pour vos lecteurs.
@ Manon,
il y a des gens qui aiment insulter les autres, sous couvert d'anonymat. C'est triste mais c'est ainsi...
Quel beau témoignage! Ton blogue est souvent magique, et cette entrée l'est tout particulièrement.
Gratien machin, ouf...auriez vous un compte personnel à rendre avec notre bon ami? Ça sent à plein nez le type frustré d'un je-ne-sais-quoi. Peut être de ne pas savoir raconter une histoire? D'être lu? reonnu? Réglez vos comptes ou vos démons personnels ailleurs que sur ce site. Un manque de classe.
Ce que j'aime te lire.
ce fut une bien belle histoire
le genre d'histoire qui nous rappelle que la convivialité entre deux inconnus n'a pas encore totalement disparue.
Merci encore et continue d'etre ainsi agréable avec les gens!
J.
Au première ligne de votre texte, j'ai pensé à ce cher Pierre de Trois-Rivières. Un ami de la famille. Quel ne fût pas ma surprise de constaté en effet que vous parliez de la même personne!
Je peux aisément comprendre votre sentiment face à cette personne si enrichissante. Pierre est quelqu'un de merveilleux et il nous permet toujours de grandir!
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