Lendemain de veille II
Pendant que le réservoir se rempli, je songe à ce que ça aurait été si j'avais subi cette panne dans un coin perdu ou encore en plein milieu du tunnel Ville-Marie par où je suis passé quelques minutes plus tôt. Je me console à l'idée. Quand la gâchette se déclenche, 66 $ et quelques sous s'affichent sur la pompe. J'en déverse encore un petit peu pour atteindre 66.66 $ question de dérider mon commis postgoth. Je le paye dans l'indifférence totale. Il devait être aussi sur un lendemain de veille.
Après m'en être lavé les mains, je reprends la route avec un réservoir bien plein. Tout le contraire de cette ville qui n'en finit jamais de m'en faire voir de toutes les couleurs. Heureusement.
J'en fais le tour. Quartier Latin, Village, boulevard Saint-Laurent, la Catherine, le Vieux, Griffintown, Saint-Henri, retour au centre-ville, la Crescent, partout le même constat, Montréal se remet de sa débauche de la veille. Je pense faire comme tout le monde. Ramener le taxi au garage et aller me coucher. Mais le patron m'a fait une fleur en me laissant le taxi « single » avant le grand soir et je ne veux pas revenir sur ma parole. Tout à coup, je ne suis pas sûr d'y croire, un bras se lève devant moi. Un homme qui s'en va à quelques rues seulement. Pas de quoi se payer un bidon.
Le Premier de l'an s'est déjà envolé. Je suis de retour sur un poste. J'ai rangé mon impatience dans le coffre à gants et je poursuis ma lecture pour penser à autre chose. Après une attente interminable, je me retrouve à attendre encore devant une adresse qu'on vient de me donner. Deux clientes éméchées que je déposerai à cinq minutes à pied de là. Je ne m'en fais plus. À quoi bon?
Plus tard, je partirai du Plateau vers NDG. Un type sympa qui doublera mes gains de la soirée. Je pense un instant que ça va reprendre, mais non, ça stagne. Je niaise et tourne en rond dans des rues désertes en me faisant violence pour ne pas revenir chez moi me vautrer dans mon divan en m'envoyant la dernière canette de Guiness au frais dans mon frigo. Ça fait des heures que je la visualise. Mais je tiens bon. Je veux au moins me taper la fermeture des rares bars encore ouverts cette nuit. Je pourrai peut-être en tirer quelque chose.
Il est trois heures et demie et toujours rien. Ça y est, j'ai ma dose. Demain, je commencerai plus tôt et tenterai tout au moins d'entrer dans mes frais. C'est alors que je quitte le centre-ville que mon terminal m'offre enfin une course. Sur Richmond en bas de Notre-Dame, un vieil entrepôt où il y a souvent des partys privés.
Lorsque je tourne le coin pour y accéder, l'endroit se vide. Il n'y a que des blacks et déjà certains se bousculent dans ma direction. Le nom qui s'affiche sur mon terminal est Sara. C'est ce que je tente d'expliquer à un grand Yo qui semble vouloir me faire la peau. Heureusement, Sara n'est pas loin. Elle passe difficilement inaperçue dans le petit bout de tissu qu'elle porte. Toute en jambes et en gueule, elle hurle un : « leave my cab alone muddafuck'n nigga ' » faisant de moi sa propriété exclusive.
Elle me dit qu'elle arrive tout de suite. C'est sans compter sur ses copines qui se sont engagées dans une dispute qui semble vouloir mal tourner. Évidemment, d'autres taxis commencent à se pointer et je dois me ranger sur le côté pour les laisser passer. Moi j'attends toujours dans une ambiance pour le moins explosive. La rue se remplit, ça s'invective, ça crie, des bouteilles éclatent ici et là, d'un coup de gaz impatient, j'attire l'attention de Sara qui tire le bras de sa copine hystérique qui veut arracher la tête d'une autre fille qui la nargue les bras en croix.
Finalement, trois filles prennent place à bord et je suis bien content de me remettre à rouler. Je n'ai pas le temps de revenir sur Notre-Dame que les trois filles m'ordonnent de revenir sur Richmond. Je sais que ce n'est pas une bonne idée, mais bon, le compteur tourne et je n'ai vraiment pas envie de me mettre ces trois furies à dos.
Je retourne le coin. Il y'a tellement de monde que je peux difficilement avancer. Un « gangsta » marche en oscillant vers moi avec une bouteille tendue prête à être lancée. Assise à côté de moi, Sara se sort la tête par la fenêtre et lui gueule de se tasser ce qu'il fait sans demander son reste. Je sens bien qu'avec Sara à mes côtés rien ne peut m'arriver. Pendant que mon amazone des ghettos continue de crier à qui veut l'entendre, sa copine derrière en harangue une autre : « Fuckin'wo! I'm gonna mess your face up! bitch! ». Y'à pas à dire l'ambiance est pour le moins festive en ce début d'année.
J'arrive enfin à traverser cette mer agitée, mais le calme est loin de revenir aussi aisément dans le taxi. Je dis tout haut :
— La vengeance est un plat qui se mange froid!
— What did ya say! réplique ma garde du corps prête à m'arracher les yeux.
— Euh... Vengeance is a dish that you eat cold, that means...
— Yeah yeah bring us home chief!
Ce que je fais avec diligence dans les cris et les menaces de mort qui heureusement ne me visent pas. Encore une fois je ne fais pas fortune avec ce voyage, mais disons que ça sortait de l'ordinaire surtout lorsque Sara s'est extirpé du taxi le cul à l'air. Vision fugace, mais pour le moins remarquable. Ça valait amplement l'omission du pourboire.
Avec cette image en tête, je fais demi-tour dans le but de retourner sur Richmond lorsque le terminal se remet à sonner.
Une surprise m'attends...
À suivre...
Après m'en être lavé les mains, je reprends la route avec un réservoir bien plein. Tout le contraire de cette ville qui n'en finit jamais de m'en faire voir de toutes les couleurs. Heureusement.
J'en fais le tour. Quartier Latin, Village, boulevard Saint-Laurent, la Catherine, le Vieux, Griffintown, Saint-Henri, retour au centre-ville, la Crescent, partout le même constat, Montréal se remet de sa débauche de la veille. Je pense faire comme tout le monde. Ramener le taxi au garage et aller me coucher. Mais le patron m'a fait une fleur en me laissant le taxi « single » avant le grand soir et je ne veux pas revenir sur ma parole. Tout à coup, je ne suis pas sûr d'y croire, un bras se lève devant moi. Un homme qui s'en va à quelques rues seulement. Pas de quoi se payer un bidon.
Le Premier de l'an s'est déjà envolé. Je suis de retour sur un poste. J'ai rangé mon impatience dans le coffre à gants et je poursuis ma lecture pour penser à autre chose. Après une attente interminable, je me retrouve à attendre encore devant une adresse qu'on vient de me donner. Deux clientes éméchées que je déposerai à cinq minutes à pied de là. Je ne m'en fais plus. À quoi bon?
Plus tard, je partirai du Plateau vers NDG. Un type sympa qui doublera mes gains de la soirée. Je pense un instant que ça va reprendre, mais non, ça stagne. Je niaise et tourne en rond dans des rues désertes en me faisant violence pour ne pas revenir chez moi me vautrer dans mon divan en m'envoyant la dernière canette de Guiness au frais dans mon frigo. Ça fait des heures que je la visualise. Mais je tiens bon. Je veux au moins me taper la fermeture des rares bars encore ouverts cette nuit. Je pourrai peut-être en tirer quelque chose.
Il est trois heures et demie et toujours rien. Ça y est, j'ai ma dose. Demain, je commencerai plus tôt et tenterai tout au moins d'entrer dans mes frais. C'est alors que je quitte le centre-ville que mon terminal m'offre enfin une course. Sur Richmond en bas de Notre-Dame, un vieil entrepôt où il y a souvent des partys privés.
Lorsque je tourne le coin pour y accéder, l'endroit se vide. Il n'y a que des blacks et déjà certains se bousculent dans ma direction. Le nom qui s'affiche sur mon terminal est Sara. C'est ce que je tente d'expliquer à un grand Yo qui semble vouloir me faire la peau. Heureusement, Sara n'est pas loin. Elle passe difficilement inaperçue dans le petit bout de tissu qu'elle porte. Toute en jambes et en gueule, elle hurle un : « leave my cab alone muddafuck'n nigga ' » faisant de moi sa propriété exclusive.
Elle me dit qu'elle arrive tout de suite. C'est sans compter sur ses copines qui se sont engagées dans une dispute qui semble vouloir mal tourner. Évidemment, d'autres taxis commencent à se pointer et je dois me ranger sur le côté pour les laisser passer. Moi j'attends toujours dans une ambiance pour le moins explosive. La rue se remplit, ça s'invective, ça crie, des bouteilles éclatent ici et là, d'un coup de gaz impatient, j'attire l'attention de Sara qui tire le bras de sa copine hystérique qui veut arracher la tête d'une autre fille qui la nargue les bras en croix.
Finalement, trois filles prennent place à bord et je suis bien content de me remettre à rouler. Je n'ai pas le temps de revenir sur Notre-Dame que les trois filles m'ordonnent de revenir sur Richmond. Je sais que ce n'est pas une bonne idée, mais bon, le compteur tourne et je n'ai vraiment pas envie de me mettre ces trois furies à dos.
Je retourne le coin. Il y'a tellement de monde que je peux difficilement avancer. Un « gangsta » marche en oscillant vers moi avec une bouteille tendue prête à être lancée. Assise à côté de moi, Sara se sort la tête par la fenêtre et lui gueule de se tasser ce qu'il fait sans demander son reste. Je sens bien qu'avec Sara à mes côtés rien ne peut m'arriver. Pendant que mon amazone des ghettos continue de crier à qui veut l'entendre, sa copine derrière en harangue une autre : « Fuckin'wo! I'm gonna mess your face up! bitch! ». Y'à pas à dire l'ambiance est pour le moins festive en ce début d'année.
J'arrive enfin à traverser cette mer agitée, mais le calme est loin de revenir aussi aisément dans le taxi. Je dis tout haut :
— La vengeance est un plat qui se mange froid!
— What did ya say! réplique ma garde du corps prête à m'arracher les yeux.
— Euh... Vengeance is a dish that you eat cold, that means...
— Yeah yeah bring us home chief!
Ce que je fais avec diligence dans les cris et les menaces de mort qui heureusement ne me visent pas. Encore une fois je ne fais pas fortune avec ce voyage, mais disons que ça sortait de l'ordinaire surtout lorsque Sara s'est extirpé du taxi le cul à l'air. Vision fugace, mais pour le moins remarquable. Ça valait amplement l'omission du pourboire.
Avec cette image en tête, je fais demi-tour dans le but de retourner sur Richmond lorsque le terminal se remet à sonner.
Une surprise m'attends...
À suivre...
5 Comments:
Le sens du suspense à son meilleur. J'ai hâte à demain pour lire la suite.
Merci.
Bonne Année à vous M. Léon
Superbe récit dont j'ai hâte de connaître la suite :)
Bonne année et je vais te souhaiter plein de clients pour que tu puisses venir nous les raconter :)
Oh que j'ai hâte de lire la suite!
Un taxi la nuit a le ''don'' me tenir en halène. S'il vous plait la suite! Que je puisse enfin passer a autrechose! mdr.
L'art de nous tenir sur notre appétit :) Vivement la suite qu'on se bidonne un peu , quoi que c'est souvent le cas avec vous M. le taxi :) Bonne année 2011 , la santé et pleins pleins de clients pour nous faire rire
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