Salut Garçon!
— Salut Chef!
— Salut garçon! Ça va?
— Ça va et toi?
— Ça va, ça va.
C'était presque toujours comme ça qu'on commençait nos conversations. Ensuite, je me dirigeais vers le fond pour pisser un coup ou j'allais remplir mon thermos de café. Quand c'était tranquille et que je n'étais pas trop pressé de reprendre la route, on discutait de tout et de rien, surtout de rien. Souvent, il me demandait de l'aider avec un mot sur lequel il accrochait dans ses mots croisés ou encore il me montrait un "article" dans les diverses revues pornos qu'il cachait sous le comptoir. De temps en temps, il me payait le café ou étampait trois-quatre fois ma carte boni. Ne faisant semblant de rien, il m'offrait parfois des muffins ou des biscuits en douce. Il avait une désinvolture agréable à observer.
— Et puis comment ça se passe sur la route Chef?
— Bof. Comme d'habitude. Pas grand-chose a signaler. Tu peux me faire du change pour un 20$?
Ça arrivait de temps en temps que je le surprenne en train de dormir ou en train d'en fumer une à l'écart des caméras disséminées dans la station-service.
Je le taquinais en lui faisant des clins d'oeil quand il servait une jolie femme devant moi. Évidemment, on attendait qu'elle parte pour y aller de nos commentaires.
Rien de vraiment sérieux, toujours une façon comme une autre de courber le temps de nos longues nuits respectives.
À coups de quelques minutes par-ci par-là, on a appris à se connaître et à s'apprécier. Il était toujours de bonne humeur même quand je sentais que ça allait plus ou moins. Souvent, il me disait qu'il avait le mal du pays, mais que la vie était difficile là-bas. Il endurait donc nos hivers et nos femmes qui disent trop souvent non. Il disait ça avec un sourire qui en aurait fait dire oui à plus d'une.
Un soir, comme ça, entre une recharge de café et un autre client, il m'a annoncé qu'il repartait chez lui, que c'était sa dernière nuit. Je lui ai serré la main, lui ai souhaité toute la chance du monde et l'ai salué une dernière fois.
Je me rends compte aujourd'hui que malgré le fait qu'on se soit côtoyé sur une base quotidienne pendant des années, je n'ai jamais su son nom. N'empêche que ces jours-ci, je pense beaucoup à lui et à sa Tunisie natale. Je me plais à l'imaginer, monter aux barricades avec son sourire et sa désinvolture. Je ne peux que souhaiter, pour lui et tous ses compatriotes, que tout se passe pour le mieux dans ce pays nouveau.
Salut garçon!
— Salut garçon! Ça va?
— Ça va et toi?
— Ça va, ça va.
C'était presque toujours comme ça qu'on commençait nos conversations. Ensuite, je me dirigeais vers le fond pour pisser un coup ou j'allais remplir mon thermos de café. Quand c'était tranquille et que je n'étais pas trop pressé de reprendre la route, on discutait de tout et de rien, surtout de rien. Souvent, il me demandait de l'aider avec un mot sur lequel il accrochait dans ses mots croisés ou encore il me montrait un "article" dans les diverses revues pornos qu'il cachait sous le comptoir. De temps en temps, il me payait le café ou étampait trois-quatre fois ma carte boni. Ne faisant semblant de rien, il m'offrait parfois des muffins ou des biscuits en douce. Il avait une désinvolture agréable à observer.
— Et puis comment ça se passe sur la route Chef?
— Bof. Comme d'habitude. Pas grand-chose a signaler. Tu peux me faire du change pour un 20$?
Ça arrivait de temps en temps que je le surprenne en train de dormir ou en train d'en fumer une à l'écart des caméras disséminées dans la station-service.
Je le taquinais en lui faisant des clins d'oeil quand il servait une jolie femme devant moi. Évidemment, on attendait qu'elle parte pour y aller de nos commentaires.
Rien de vraiment sérieux, toujours une façon comme une autre de courber le temps de nos longues nuits respectives.
À coups de quelques minutes par-ci par-là, on a appris à se connaître et à s'apprécier. Il était toujours de bonne humeur même quand je sentais que ça allait plus ou moins. Souvent, il me disait qu'il avait le mal du pays, mais que la vie était difficile là-bas. Il endurait donc nos hivers et nos femmes qui disent trop souvent non. Il disait ça avec un sourire qui en aurait fait dire oui à plus d'une.
Un soir, comme ça, entre une recharge de café et un autre client, il m'a annoncé qu'il repartait chez lui, que c'était sa dernière nuit. Je lui ai serré la main, lui ai souhaité toute la chance du monde et l'ai salué une dernière fois.
Je me rends compte aujourd'hui que malgré le fait qu'on se soit côtoyé sur une base quotidienne pendant des années, je n'ai jamais su son nom. N'empêche que ces jours-ci, je pense beaucoup à lui et à sa Tunisie natale. Je me plais à l'imaginer, monter aux barricades avec son sourire et sa désinvolture. Je ne peux que souhaiter, pour lui et tous ses compatriotes, que tout se passe pour le mieux dans ce pays nouveau.
Salut garçon!
10 Comments:
C'est vraiment dommage que tu ne puisses nous dire son nom, ou au moins son prénom. Apprendre le nom de ceux que l'on côtoit est un excellent exercice de mémoire et au Québec on a pas cette courtoisie de dire bonjour aux gens qui nous entourent par leurs noms. Nous avons tellement à apprendre des autres. Si jamais tu le revois dis-lui bonjour de la part de Line.
Très beau. Humain.
Tous ces anonymes qui composent notre vie. Ces figurants. Je suis une figurante à mes heures, et tu l'es aussi pour plusieurs. Ainsi va la vie et son décor humain en arrière-plan.
Malgré tout, je suis certaine que tu préfères être un figurant qui s'appelle Pierre-Léon. Moi, j'aime qu'on m'appelle Venise.
C'est aussi bien que tu ne saches pas son nom, ça n'a pas nuit à la complicité entre vous. Le texte est beau c'est une jolie pensée pour les tunisiens.
Pourquoi ce témoignage est-il si touchant ? Peut-être parce que les immigrés, trop souvent personne ne leur parle "de tout ou de rien", ce qui est comme une amitié. Peut-être parce que je connais la fierté et la sensibilité tunisiennes aux cultures occidentales. Peut-être parce que le simple fait que tu ais écrit ces mots démontre une si belle sensibilité !
Je te dis merci, parce que j'ai des amis tunisiens et j'aimerais qu'ils soient nombreux, comme toi, à ne pas les ignorer.
J'ai envoyé le lien du blog à un collègue Tunisien. Il a trouvé ça très sympathique. Pour ma part, j'ai trouvé ça très touchant. Parce que sympathique à toute cause visant la liberté.
Je harcèle mes compatriotes dont la citoyenneté est trouble. Ils sont plus planétaires que les gens bien enracinés dans leur pays natal, puisque mon opinion du village mondial est que ses frontières devraient s'effacer à la vitesse de notre ouverture sur le monde. Je suis terrorisé, qu'au nom de la liberté, comme en Iran au départ du shah, les islamiques radicaux ne s'emparent du pouvoir pour enfoncer la Tunisie dans une période plus sombre qu'une nuit sans étoiles.
Je souhaite que l'ôdeur du jasmin protège les Tunisiens en leur rappelant constamment l'enjeu de leur révolution: le droit au bonheur et à la liberté.
Il y a toujours des anges qui croisent nos chemins. Comme les étoiles filantes, ils sont là, mais il faut ouvrir les yeux pour les voir.
N'arrête jamais d'écrire :)
Quel beau cadeau tu nous fais!
un salut des cafards à l'homme de la nuit qui écrit remarquablement bien !
Toujours aussi bon!! avoir que qu'une once de ton talent et j'en serais ravi !!
La nuit, les amitiés n'ont pas besoin de prénoms. Le meilleur aux Tunisiens... aux Égyptiens... aux....
très beau, j'ai presque eu la larme à l'oeil
j'espère q tt va bien pour lui
merci d'avoir partagé ce pan de votre vie avec nous
Super!
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