Le 10 piasses
Quand je parle aux vieux de la vieille, tous me disent que le taxi ce n'est plus ce que c'était. Les chauffeurs ne se respectent plus entre eux. Les vols d'appels sont de plus en plus fréquents et sur la route c'est la course permanente. Ça se coupe, ça fait des U-turns, y'en a même qui n'hésitent plus à brûler une rouge pour prendre le client qui t'attend de l'autre côté. A force on s'adapte. Sur la route j'ai pas de problème, je tiens mon "boutte" comme on dit. Viens me frôler et viens me couper si tu veux mais attends toi à la même chose. Faut avoir les nerfs assez solides des fois, surtout avec les chauffeurs affamés qui ne roulent que la fin de semaine. De vrais rapaces. A trois heures du mat, si vous êtes pas trop bourrés, regardez comment les taxis roulent. Ça craint...
Encore là, si le manque de respect ne se passait que sur le "turf" je m'en accommoderais mais la semaine dernière il s'est passé de quoi au garage qui m'a presque fait sauter les plombs.
J'essaie toujours d'arriver un peu en avance des fois que le chauffeur de jour avec qui je partage le véhicule arrive avant 5 heures. Je bénéficie de ces précieuses minutes pour être dans le centre-ville quand les bureaux se vident. Mais ce jour là le gars de jour est en retard. D'habitude le patron fait en sorte que les chauffeurs qui partagent les taxis soient toujours les mêmes et en général je partage celui que je loue avec un iranien qui a toujours le gros sourire accroché au visage. On se jase pas beaucoup, que des formules de politesse et des questions se rapportant au véhicule, mais ça colle bien entre nous. Souvent je lui laisse un peu d'argent si je reviens trop tard avec un taxi qui a besoin d'un lavage. On a une bonne entente. Mais là je partage le taxi avec un algérien que je croise presque tous les jours mais avec qui je n'ai jamais vraiment jasé. Mais je ne suis pas là pour faire du social. Je suis là pour gagner ma croûte puis ça fait une demi-heure que je fais le croûton.
Il est salement en retard. Cinq, dix, quinze minutes à la limite je peux comprendre. Le trafic, un client difficile, un imprévu, je peux faire avec. Mais quand il arrive à 5h35, je suis assez énervé. Je me console en me disant que je n'ai pas tout perdu car il y a une règle fixée par le patron qui exige que le retardataire donne 10$ à l'autre chauffeur. Dès qu'il sort du taxi, il me dit avec un petit sourire arrogant qui me revient pas trop que je peux garder l'auto une demi-heure de plus le lendemain matin. Comme si l'affluence était la même...
- "Ouain c'est ça, maintenant donne-moi mon 10$."
- " Non, je te donne rien ! " J'ai le sang qui commence à bouillir mais je reste de glace. Y'a le patron qui est là et qui d'habitude ne se gêne pas pour mettre les points sur les i mais curieusement il reste un peu à l'écart et ne semble pas vouloir intervenir. Ça me fruste d'autant plus que l'autre s'apprête à s'en aller.
- " T'es en retard, tu me payes, qu'es-ce tu comprends pas la dedans?" Le type ne me regarde même pas et me réponds en tournant les pas :
- " Fuck you ! "
- " Pardon? Mais quel sorte de petit trou de cul que t'es toé ? " Je gueule autant de rage que parce que le gars s'éloigne.
A côté y'a le patron qui dit toujours rien, y'a un autre chauffeur qui lave son taxi et y'a des voisins plus loin sur leur galerie qui ont l'air de s'amuser. Le mécano remplace un chapeau de roue que s'est détaché et jette ensuite un oeil sur le niveau d'huile. Pendant ce temps je fais le tour de l'intérieur. C'est plein de journaux qui traînent et y'a des miettes de sandwiches sur les banquettes. Je suis en beau calvaire mais je serre les dents. C'est alors, qu'en voulant mettre mon permis de travail à sa place sur le montant entre les portières que je m'aperçois que le mec a oublié le sien. Je m'en empare, le mets dans ma poche et tout à coup je me calme car je sais que je viens de le baiser.
En relevant la tête, je le vois alors revenir. Je sais pourquoi il revient et m'empresse de retirer mon permis pour pas qu'il parte avec. Il revient tranquillement et je le regarde sans tourner la tête. J'ai une gueule qui dit approche-toi pas trop proche. Le gars s'avance de l'auto mais curieusement il va vers le coffre à gants et y prends quelque chose que je ne vois pas. Pas une fois il ne regarde vers l'endroit où l'on accroche le "pocket". Je ne dis rien mais y'a pas mal de tension. On se regarde en chiens de faïence, les voisins plus nombreux attendent qu'il se passe de quoi, y'a de l'électricité dans l'air pis il ne manque pas grand chose pour que ça éclate. Mais je ne bronche pas et je le regarde s'en aller de nouveau.
Ça prends une autre demi-heure pour que l'adrénaline retombe. Je réfléchis à ce que je vais faire avec le permis de l'autre. Sans ça il ne peut pas louer de véhicule. Ou s'il se fait prendre sans, c'est une amande assez salée. Je ris dans ma barbe mais en même temps je culpabilise. Je me dis que ça fait pas mal de niaisage pour 10 $. Mais c'est pas autant pour le cash que pour le principe. Juste une question de respect finalement. Et y'a l'attitude du mec qui m'a aussi vraiment fait chier même si avec le recul je me rends bien compte que la mienne devais pas être tellement mieux. Bref, plus tard dans la soirée, j'entends le répartiteur répéter mon numéro de dôme. Il veut me parler et je sais pertinemment pourquoi. Mon chauffeur de jour vient de se rendre compte qu'il a "oublié" de quoi... Je ne réponds pas à l'appel. Qu'il dorme la dessus, s'il est capable...
J'ai pensé couper son permis en deux, le "crisser dins vidanges", pisser dessus, faire une moustache sur sa photo, j'ai penser le faire chanter mais finalement la nuit m'a été fidèle et comme d'habitude elle m'a porté conseil. Au petit matin j'ai laissé le permis du mec dans la boîte aux lettres du garage. Je ne sais pas comment il a réagi en le retrouvant et pour être franc il peut toujours aller se faire foutre tant qu'à moi. Dans la boîte aux lettres, il y avait aussi mon enveloppe de paiement avec 10$ de moins dedans. Que le patron s'arrange avec ses règles et avec l'autre. En ce qui me concerne, j'ai l'esprit en paix et je dors sur mes deux oreilles.
Encore là, si le manque de respect ne se passait que sur le "turf" je m'en accommoderais mais la semaine dernière il s'est passé de quoi au garage qui m'a presque fait sauter les plombs.
J'essaie toujours d'arriver un peu en avance des fois que le chauffeur de jour avec qui je partage le véhicule arrive avant 5 heures. Je bénéficie de ces précieuses minutes pour être dans le centre-ville quand les bureaux se vident. Mais ce jour là le gars de jour est en retard. D'habitude le patron fait en sorte que les chauffeurs qui partagent les taxis soient toujours les mêmes et en général je partage celui que je loue avec un iranien qui a toujours le gros sourire accroché au visage. On se jase pas beaucoup, que des formules de politesse et des questions se rapportant au véhicule, mais ça colle bien entre nous. Souvent je lui laisse un peu d'argent si je reviens trop tard avec un taxi qui a besoin d'un lavage. On a une bonne entente. Mais là je partage le taxi avec un algérien que je croise presque tous les jours mais avec qui je n'ai jamais vraiment jasé. Mais je ne suis pas là pour faire du social. Je suis là pour gagner ma croûte puis ça fait une demi-heure que je fais le croûton.
Il est salement en retard. Cinq, dix, quinze minutes à la limite je peux comprendre. Le trafic, un client difficile, un imprévu, je peux faire avec. Mais quand il arrive à 5h35, je suis assez énervé. Je me console en me disant que je n'ai pas tout perdu car il y a une règle fixée par le patron qui exige que le retardataire donne 10$ à l'autre chauffeur. Dès qu'il sort du taxi, il me dit avec un petit sourire arrogant qui me revient pas trop que je peux garder l'auto une demi-heure de plus le lendemain matin. Comme si l'affluence était la même...
- "Ouain c'est ça, maintenant donne-moi mon 10$."
- " Non, je te donne rien ! " J'ai le sang qui commence à bouillir mais je reste de glace. Y'a le patron qui est là et qui d'habitude ne se gêne pas pour mettre les points sur les i mais curieusement il reste un peu à l'écart et ne semble pas vouloir intervenir. Ça me fruste d'autant plus que l'autre s'apprête à s'en aller.
- " T'es en retard, tu me payes, qu'es-ce tu comprends pas la dedans?" Le type ne me regarde même pas et me réponds en tournant les pas :
- " Fuck you ! "
- " Pardon? Mais quel sorte de petit trou de cul que t'es toé ? " Je gueule autant de rage que parce que le gars s'éloigne.
A côté y'a le patron qui dit toujours rien, y'a un autre chauffeur qui lave son taxi et y'a des voisins plus loin sur leur galerie qui ont l'air de s'amuser. Le mécano remplace un chapeau de roue que s'est détaché et jette ensuite un oeil sur le niveau d'huile. Pendant ce temps je fais le tour de l'intérieur. C'est plein de journaux qui traînent et y'a des miettes de sandwiches sur les banquettes. Je suis en beau calvaire mais je serre les dents. C'est alors, qu'en voulant mettre mon permis de travail à sa place sur le montant entre les portières que je m'aperçois que le mec a oublié le sien. Je m'en empare, le mets dans ma poche et tout à coup je me calme car je sais que je viens de le baiser.
En relevant la tête, je le vois alors revenir. Je sais pourquoi il revient et m'empresse de retirer mon permis pour pas qu'il parte avec. Il revient tranquillement et je le regarde sans tourner la tête. J'ai une gueule qui dit approche-toi pas trop proche. Le gars s'avance de l'auto mais curieusement il va vers le coffre à gants et y prends quelque chose que je ne vois pas. Pas une fois il ne regarde vers l'endroit où l'on accroche le "pocket". Je ne dis rien mais y'a pas mal de tension. On se regarde en chiens de faïence, les voisins plus nombreux attendent qu'il se passe de quoi, y'a de l'électricité dans l'air pis il ne manque pas grand chose pour que ça éclate. Mais je ne bronche pas et je le regarde s'en aller de nouveau.
Ça prends une autre demi-heure pour que l'adrénaline retombe. Je réfléchis à ce que je vais faire avec le permis de l'autre. Sans ça il ne peut pas louer de véhicule. Ou s'il se fait prendre sans, c'est une amande assez salée. Je ris dans ma barbe mais en même temps je culpabilise. Je me dis que ça fait pas mal de niaisage pour 10 $. Mais c'est pas autant pour le cash que pour le principe. Juste une question de respect finalement. Et y'a l'attitude du mec qui m'a aussi vraiment fait chier même si avec le recul je me rends bien compte que la mienne devais pas être tellement mieux. Bref, plus tard dans la soirée, j'entends le répartiteur répéter mon numéro de dôme. Il veut me parler et je sais pertinemment pourquoi. Mon chauffeur de jour vient de se rendre compte qu'il a "oublié" de quoi... Je ne réponds pas à l'appel. Qu'il dorme la dessus, s'il est capable...
J'ai pensé couper son permis en deux, le "crisser dins vidanges", pisser dessus, faire une moustache sur sa photo, j'ai penser le faire chanter mais finalement la nuit m'a été fidèle et comme d'habitude elle m'a porté conseil. Au petit matin j'ai laissé le permis du mec dans la boîte aux lettres du garage. Je ne sais pas comment il a réagi en le retrouvant et pour être franc il peut toujours aller se faire foutre tant qu'à moi. Dans la boîte aux lettres, il y avait aussi mon enveloppe de paiement avec 10$ de moins dedans. Que le patron s'arrange avec ses règles et avec l'autre. En ce qui me concerne, j'ai l'esprit en paix et je dors sur mes deux oreilles.
22 Comments:
Pourquoi t'es pas allé voir le patron directement?
Il a pas de couilles ton patron? Il a peur de se faire exploser par l'algérien?
Ça pas lair facile ce genre de situation, surtout lorsque ton patron ne te back pas. Au moins, tu as eu la bonne attitude et c'est lui qui a eu l'air du trou-de-cul dans l'histoire (de mon point de vue).
Ayoye! Tous les boulots ont leur complications finalement...
Tout un fendant! Et tu risques de le revoir tous les jours... Oh la la!
Je te félicite pour ta sagesse!
L'injustice, ça me tue tellement...
Ta bien fais de garder le 10$. Il y en a qui se caliss du monde bien d'aplomb. La revange est douce au coeur de l'indien. Il y en a qui saute les plombs pour moin que ca.
Bon self control de ta part.u
C'est le cirque aujourd'hui... les gens veulent voir les lions dans l'arènes, déchiqueter leurs proies...
Évidemment, pas personne va se lever pour arrêter le conflit!!! Ça fait quelque chose à raconter à la job!!! Et puis de toutes façons, c'est pas leur problème...
Mais ton boss lui... Tu as bien fait de garder ton 10$!!
Gratteux de mes deux fesses...
Aucun respect... Bravo pour ta sagesse!
J'aurais pas rapport avec les autres commentaires, mais j'ai adoré ton hisoitre, c'est très bien raconté.
Tu pourrais demander à changer de partenaire éventuellement?
Ah si tout le monde était comme toi:-) T'as bien fait.
Bin alors là, tu es une bien meilleure personne que moi. C'est en mon grand déshonneur, mais perso, j'en aurais fait 50 photocopies de son ast* de permis, et je les aurais étendues dans tous les autres stands, avec un «Attention : crosseur».
Évidemment que nous recommandons tous ta sagesse et ta tolérance :-)
Je reviens te lire et c'est toujours avec ce même plaisir.
Bravo
J'ai bien aimé l'histoire et je voulais profiter du moment pour te raconter une histoire arrivée hier qui va surement te faire sourire toi et quelques lecteurs:
J'arrive au compresseur à air d'une station-service de banlieue, il y a un jeune qui apprends à gonfler ses pneus avec sa mère, un taxi et moi à vélo ensuite. Le jeune prends 3-4 minutes pour s'exécuter et, une fois qu'il a terminé, il entre dans l'auto tente de le démarrer. Il a des problèmes avec l'anti-démarreur, au bout de 15 secondes la taxi women appuie sur le klaxon a tout rompre jusqu'a ce qu'il parte 1 minute plus tard. Elle sort de l'auto et me dit: "s'il sait pas comment ça marche un char qu'il chauffe pas". Ensuite, la femme met son 0,25$ dans la machine gonfle son pneu(sans appuyer sur le levier) au bout de deux minutes, elle dit: Ça marche pas cette affaire la!!! Elle sacre après la machine puis s'en va.
Je n'ai pu m'empêcher de rire pendant que je gonflait mes penus avec la même machine ensuite:)
Si ton boss peut pas aller au batte pour toi dans une situation comme ça, c'est pcq il te MÉRITE pas.
Ta ben fait! Il le méritait! et tres bonne histoire francois!!
vraiment lfun de te lire encore une fois!
ca me fait du bien!
:o)
Eh bien... bravo ! Il méritait une leçon, tu avais droit à une vengeance... et tu as laissé le temps te porter conseil. :-)
Tu as pris la bonne décision, c'est une décision intelligente. Par contre le patron, pas fort....
Non seulement tu as été le plus sage, mais tu as su éviter une petite guerre, si tu avais détruit ce permis, ça n'aurais qu'empiré.
C'est bien de voir qu'il y a encore des gens matures en ce bas monde.
NB: Si on demande un taxi la nuit, on peut demander un chauffeur en particulier ? ;o)
Bravo...!!
C'est un vrai plaisir et un soulagement de voir qu'il y a encore un peu d'humanité chez certaines personnes!!
Heureusement, mon patron me back, même quand j'ai merdé. Mais il me souligne gentiment que j'ai merdé... ;)
Mais dans un autre ordre d'idée, sans vouloir être méchante ou déplacée, ça fait bizarre de lire un chauffeur de taxi dire que d'autres chauffeurs de taxis conduisent mal...! "Ça se coupe, ça fait des U-turns, y'en a même qui n'hésitent plus à brûler une rouge pour prendre le client qui t'attend de l'autre côté." Je tiens trop à ma voiture pour leur rendre la pareille, moi ...! ;)
Hummmm...
C'est une excellent histoire, mais...
Moi j'y vois un chauffeur énervé par 35 minutes d'attente inutiles (un coup de fil ou un p'tit appel radio radio aurait été facile et notre P.-L. serait tranquillement allé se boire un café).
Je me met maintenant à la place du chauffeur de jour (peu importe la nationalité de celui-ci):
Je viens de me taper une journée de 12h35 peu intéressante, peu lucrative et le dernier client m'a fait perdre mon temps...
J'arrive au dépot et le chauffeur de nuit m'invective assez grossièrement car il est énervé :
- "Donnes-moi mes 10 Piasses !!!"
Tu t'attendais à quoi cher Léon ???
Qu'il t'en donne 15 et un sourire ?
Ton patron est éventuellement un lâche, mais d'un autre côté :
Il savait peut-être que les deux parties étaient en faute.
A méditer...
Je te souhaite peu d'heures d'attente, beaucoup de belles clientes blondes et de généreux pourboires :o)
Olivier
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