Poste d'attente
Samedi 22h15.
Assis dans mon taxi, je suis le premier sur le 74 et je jase avec Norm qui en fume une debout à côté de mon troisième Malibu de la semaine. Ça fait près d'une demi-heure que je niaise là a attendre un appel ou que quelqu'un se présente. C'est long et j'ai envie de pisser.
- Ouain, tu gèles ça un gun ! Me dit Normand en rigolant.
- Christ si je peux décoller d'icitte que j'aille tirer une pisse pis que j'aille me chercher un 6-pack pour finir ma nuite !
Comme chaque année, le mois d'août s'annonce tranquille. Le retour à l'école se profile et ça se sent. On coupe dans les sorties sauf celles d'argent. Le linge, les livres, les fournitures, les inscriptions, les imprévus, les ci, les ça... Du coup les petites virées en ville, les petites bouffes au resto prennent le bord et au bout de la chaîne alimentaire les taximans mangent leurs bas. J'attends, j'attends et j'attends encore.
On jase du temps qui fait, des chars et des femmes qui passent, de nos courses respectives, on courbe le temps comme on peut. Avec comme bruit de fond la nasillarde répartitrice:
- Soixante-quatre, sixtyfour.
Personne.
- Soixante-dix, seveny.
Pas de taxi là non plus.
- Envoyes-ça icitte! Dis-je en me préparant à peser sur le bouton de mon micro.
- Soixante-quatorze, sevenyfour. Pas trop tôt !
- Salut mon homme! Me dit Normand déjà parti vers son cab alors que je note mentalement les coordonnées de l'appel que me transmet du nez la répartitrice.
C'est sur Notre-Dame au coin de des Seigneurs et je sais pertinemment que j'ai intérêt à peser dessus. C'est une artère passante et comme je pars du troisième poste appelé, c'est un peu plus loin. Facile pour un "affamé" de fin de semaine de passer par là avant que j'arrive. Je clanche donc autant que possible jusqu'à l'adresse qu'on m'a donné. C'est un bloc, j'ai pas le numéro d'appartement pour aller sonner, donc j'attends, j'attends et j'attends encore. Pas de doute dans mon esprit que le client est parti et après 6-7 minutes, j'essaie de rejoindre la centrale pour avoir ce qu'on appelle dans le jargon un "no-load". Ça veut dire que le prochain appel dans le secteur m'est dû. Mais on dirait que la répartitrice est parti se moucher, faque j'attends, j'attends et j'attends encore. Mon envie de pisser se fait de plus en plus pressante, l'heure de fermeture des dépanneurs se précise, ça fait plus d'une heure que je n'ai pas eu de course et je continue d'attendre.
Je finis par avoir mon "no-load" pour les trois postes et vais m'installer sur le 70 au coin de des Seigneurs et St-Jacques. Dans le laps, deux taxis s'y sont déjà parqués et lorsque je les croise, je vois la frustration dans le regard que m'offrent les deux chauffeurs. "Ouaipe ! Y'en aura pas de facile les boys." Songe-je en espérant que ce ne sera pas trop long avant que je décolle.
Mais ce l'est. J'attends, j'attends et j'attends encore. J'ai beau avoir la priorité d'appel pour les trois postes, y'a rien qui sort. Les deux taxis devant moi partent avec des passagers et je reste là sur le poste à regarder l'horloge indiquer l'heure fatidique qui va m'empêcher de faire mes provisions de houblon. Plus d'une heure et demi sans passager, ça commence sérieusement à me démanger. J'attends, j'attends et j'attends encore. Encore heureux que le polar que je me tape soit bien ficelé, ça me fait presque oublier mon envie de pisser.
Quelques minutes avant onze heure, je suis sur le point de rejoindre la centrale pour me libérer de ma priorité quand se pointe de l'autre côté de la rue une jeune femme dans une robe aussi serrée que ma vessie. Elle me jette un coup d'oeil et je me dis qu'il était temps. Je ferme mon roman et m'apprête à démarrer le véhicule quand la belle ouvre la portière à mes côtés.
- Do you have 25 cents ? I need to make a phone call.
Ciboire... Ça se peut pas ! Qui peut avoir chier comme ça dans mon karma? Tout de même, la beauté joue pour elle, je lui souris et lui fais la monnaie. Elle sent bon et ses courbes me font oublier l'attente. Me font oublier que je suis le premier "sul gun". Me font presque rater les appels répétés de la "dispatcheuse" qui appelle mon numéro depuis trente secondes. Assez pour passer à côté de 90 minutes d'attente.
J'ai enfin eu un appel sur la rue Victor Hugo. Misérable, je me suis dis que ça devait être une espèce de justice poétique d'aller là où personne ne pouvait me voler ma pitance. Je me suis parqué en avant de mon adresse et de la fenêtre un homme m'a fait un signe d'attendre.
Faque j'ai attendu, attendu, attendu encore...
Assis dans mon taxi, je suis le premier sur le 74 et je jase avec Norm qui en fume une debout à côté de mon troisième Malibu de la semaine. Ça fait près d'une demi-heure que je niaise là a attendre un appel ou que quelqu'un se présente. C'est long et j'ai envie de pisser.
- Ouain, tu gèles ça un gun ! Me dit Normand en rigolant.
- Christ si je peux décoller d'icitte que j'aille tirer une pisse pis que j'aille me chercher un 6-pack pour finir ma nuite !
Comme chaque année, le mois d'août s'annonce tranquille. Le retour à l'école se profile et ça se sent. On coupe dans les sorties sauf celles d'argent. Le linge, les livres, les fournitures, les inscriptions, les imprévus, les ci, les ça... Du coup les petites virées en ville, les petites bouffes au resto prennent le bord et au bout de la chaîne alimentaire les taximans mangent leurs bas. J'attends, j'attends et j'attends encore.
On jase du temps qui fait, des chars et des femmes qui passent, de nos courses respectives, on courbe le temps comme on peut. Avec comme bruit de fond la nasillarde répartitrice:
- Soixante-quatre, sixtyfour.
Personne.
- Soixante-dix, seveny.
Pas de taxi là non plus.
- Envoyes-ça icitte! Dis-je en me préparant à peser sur le bouton de mon micro.
- Soixante-quatorze, sevenyfour. Pas trop tôt !
- Salut mon homme! Me dit Normand déjà parti vers son cab alors que je note mentalement les coordonnées de l'appel que me transmet du nez la répartitrice.
C'est sur Notre-Dame au coin de des Seigneurs et je sais pertinemment que j'ai intérêt à peser dessus. C'est une artère passante et comme je pars du troisième poste appelé, c'est un peu plus loin. Facile pour un "affamé" de fin de semaine de passer par là avant que j'arrive. Je clanche donc autant que possible jusqu'à l'adresse qu'on m'a donné. C'est un bloc, j'ai pas le numéro d'appartement pour aller sonner, donc j'attends, j'attends et j'attends encore. Pas de doute dans mon esprit que le client est parti et après 6-7 minutes, j'essaie de rejoindre la centrale pour avoir ce qu'on appelle dans le jargon un "no-load". Ça veut dire que le prochain appel dans le secteur m'est dû. Mais on dirait que la répartitrice est parti se moucher, faque j'attends, j'attends et j'attends encore. Mon envie de pisser se fait de plus en plus pressante, l'heure de fermeture des dépanneurs se précise, ça fait plus d'une heure que je n'ai pas eu de course et je continue d'attendre.
Je finis par avoir mon "no-load" pour les trois postes et vais m'installer sur le 70 au coin de des Seigneurs et St-Jacques. Dans le laps, deux taxis s'y sont déjà parqués et lorsque je les croise, je vois la frustration dans le regard que m'offrent les deux chauffeurs. "Ouaipe ! Y'en aura pas de facile les boys." Songe-je en espérant que ce ne sera pas trop long avant que je décolle.
Mais ce l'est. J'attends, j'attends et j'attends encore. J'ai beau avoir la priorité d'appel pour les trois postes, y'a rien qui sort. Les deux taxis devant moi partent avec des passagers et je reste là sur le poste à regarder l'horloge indiquer l'heure fatidique qui va m'empêcher de faire mes provisions de houblon. Plus d'une heure et demi sans passager, ça commence sérieusement à me démanger. J'attends, j'attends et j'attends encore. Encore heureux que le polar que je me tape soit bien ficelé, ça me fait presque oublier mon envie de pisser.
Quelques minutes avant onze heure, je suis sur le point de rejoindre la centrale pour me libérer de ma priorité quand se pointe de l'autre côté de la rue une jeune femme dans une robe aussi serrée que ma vessie. Elle me jette un coup d'oeil et je me dis qu'il était temps. Je ferme mon roman et m'apprête à démarrer le véhicule quand la belle ouvre la portière à mes côtés.
- Do you have 25 cents ? I need to make a phone call.
Ciboire... Ça se peut pas ! Qui peut avoir chier comme ça dans mon karma? Tout de même, la beauté joue pour elle, je lui souris et lui fais la monnaie. Elle sent bon et ses courbes me font oublier l'attente. Me font oublier que je suis le premier "sul gun". Me font presque rater les appels répétés de la "dispatcheuse" qui appelle mon numéro depuis trente secondes. Assez pour passer à côté de 90 minutes d'attente.
J'ai enfin eu un appel sur la rue Victor Hugo. Misérable, je me suis dis que ça devait être une espèce de justice poétique d'aller là où personne ne pouvait me voler ma pitance. Je me suis parqué en avant de mon adresse et de la fenêtre un homme m'a fait un signe d'attendre.
Faque j'ai attendu, attendu, attendu encore...
16 Comments:
Nooooooooooon????
Mais finalement, où as-tu pissé? :)
Et as-tu eu le temps d'aller acheter du houblon?
Juste quelques mots pour te dire qu'en quelques jours je me suis fait toutes tes archives et que j'ai adoré. Je vais repasser de temps en temps pour lire ce que tu viendras de semer.
Merci pour ces bons moments de lecture...
Ah je comprends, y'a rien que je déteste le plus que d'attendre après des gens. Je ne serais pas capable d'être chauffer de taxi.
Au fait, y a-t-il beaucoup de taxiwoman?
Hey taximan que je te comprends.
Moi même ayant fait du taxi à temps partiel vla une dizaine d'années j'en sais quelque chose. Et les postesen question je les reconnait donc j'ai déjà travaillé pour la même compagnie que toi qui est Dia... pour pas la nommer. Quand tu as vraiment envie de pisser et que tu attends en espérant qu'il y en a 1 qui se pointe ça peut être beeen long et dans ce temps la pourquoi se compliquer la vie. Moi ce que je faisais c'était de prendre 5 minutes de break pour mieux repartir la machine. Mais bon je me suis tanné a 1 moment donné et je me suis trouvé un meilleur emploi. Mais je garde de très bons souvenirs et grâce à tes posts je peux me ressasser les vieux souvenirs que j'avais. En tk continue de nous en faire voir de toutes les couleurs, c'est super interessant ce que tu nous écris!!
Mouah! Le bout de la chaîne alimentaire... le taxi. C'est bien dit.
imagine,quand t'est parti faire ton blanc(autre expression pour no load)le gars qui a avancé sur ton gun a poigné un pick-up pour Granby,une belle grande blonde qui sent bon,payé cash,bon tip,the whole nine yards.......lache-pas
Mon cher Léon,
Il y a un truc que je ne pige pas...
À travers ton blog, tu dresses un portrait très sombre du métier de chauffeur de taxi: longues heures, payes anorexiques...
Si c'est vraiment comme ça, pourquoi les propriétaires n'ont aucun mal à louer de taxis et surtout pourquoi un gars allumé comme toi continue dans le métier?
François (de boucane.com)
Argh...
C'est fou comme devoir attendre, attendre, attendre, ça te gâche une journée/une soirée/une nuit. Et quand le gagne-pain en dépend, alors là...
Comment faites-vous? En vous lisant, j'avais envie de pisser pour vous...
Vous êtes très doué monsieur le TaxiMan.
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Cher Pierre Léon,
Une lecture régulière de votre blog, de vos histoires toujours bien senties, ainsi que des photos bien léchées ont fait que, hop, je vous ai recommandé sur mon blog.
Même si j'ai toujours quelques difficultés à interpréter vos expressions montréalaises, je reste accrochée à vos récits.
Merci de les avoir écrites !
moi je te lis depuis quelques temps je suis déjà mordu! je m'ennuie déjà du prochain texte
à bientôt
coudonc t'es en vacances??? j'ai hâte de te relire.........vite ! :)
Pauvre Pierre-Léon, sur le gun avec une envie de pipi.... ce serait ma mort! Je te plains ;)
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