Histoires à la Course
Le chauffeur vient de négocier une course avec ces quatre jeunes gens. Il est d'accord pour les amener dans le nord de la ville pour 20 piasses. La soirée est tranquille, quand on lui demande un "deal" au départ d'un voyage il est conciliant.
Le jeune homme vient de passer quelques mois en Asie. Il a nagé dans le Mékong, a fumé de l'opium dans le triangle d'or, dans un café d'Ho Chi Minh, il a oublié un pack-sac. Rien de trop important sinon son journal de bord. Les mots de son périple.
Elle me raconte l'histoire d'un autre chauffeur, je lui raconte l'histoire d'un autre client. Ça se passe sur la rue Ontario entre Saint-Léonard et le Vietnam.
La course se passe bien, le chauffeur connaît bien le secteur, évite ici et là quelques lumières, brûle quelques jaunes. Le "yo" assis a côté de lui joue avec les boutons de la radio. Même si ça l'énerve, il le laisse faire, dans dix minutes ça en sera fait d'eux.
Sans rien espérer, il a fait traduire un tract qu'il distribue un peu partout dans la ville. Il offre une récompense pour qui ramènera son journal. Il l'affiche dans des cafés, dans des hôtels et des restos. Dans ce journal se trouvent des mois de sa vie. Des instants privilégiés figés par l'écrit.
Ma cliente est aussi jolie que la nuit. J'écoute son histoire qui n'est pas la sienne , elle écoute la mienne qui vient d'un client de la veille.
A destination le "deal" ne tient plus. On offre qu'un dix au chauffeur qui se rebiffe. On le menace, il appelle la police, trois se pousse, une reste.
On frappe à la porte de sa chambre d'hôtel , quelqu'un à retrouvé son journal et le lui rapporte. Ce n'est pas le sien.
Elle pourrait être ma fille si j'avais été père à l'âge qu'elle a. J' hume son parfum et bois ses paroles. Elle apprécie ma conduite. J'essaie de bien me conduire.
La police arrive et celle qui est restée accuse le chauffeur d'avoir essayé de lui toucher les seins. Il est outré, elle est convaincante, les policiers passent les menottes au taximan.
C'est un journal écrit dans une langue qu'il ignore. Il donne quand même un petit quelque chose à celui qui le lui a apporté et ramène dans ses bagages le cahier pour essayer de décoder ce qu'il recèle.
On a beau se raconter des histoires, la course achève, je lève le pied, fais durer le moment.
La police est sur le point d'embarquer le chauffeur quand se présente un homme qui observait la scène de sa fenêtre. Sa version rétablira les faits.
Dans le journal qui s'avérera danois, le jeune homme trouvera l'adresse d'une danoise ravie de retrouver ses mots.
Une histoire dans l'histoire de l'histoire, des mots, des vies, une nuit, une course.
Voilà.
Le jeune homme vient de passer quelques mois en Asie. Il a nagé dans le Mékong, a fumé de l'opium dans le triangle d'or, dans un café d'Ho Chi Minh, il a oublié un pack-sac. Rien de trop important sinon son journal de bord. Les mots de son périple.
Elle me raconte l'histoire d'un autre chauffeur, je lui raconte l'histoire d'un autre client. Ça se passe sur la rue Ontario entre Saint-Léonard et le Vietnam.
La course se passe bien, le chauffeur connaît bien le secteur, évite ici et là quelques lumières, brûle quelques jaunes. Le "yo" assis a côté de lui joue avec les boutons de la radio. Même si ça l'énerve, il le laisse faire, dans dix minutes ça en sera fait d'eux.
Sans rien espérer, il a fait traduire un tract qu'il distribue un peu partout dans la ville. Il offre une récompense pour qui ramènera son journal. Il l'affiche dans des cafés, dans des hôtels et des restos. Dans ce journal se trouvent des mois de sa vie. Des instants privilégiés figés par l'écrit.
Ma cliente est aussi jolie que la nuit. J'écoute son histoire qui n'est pas la sienne , elle écoute la mienne qui vient d'un client de la veille.
A destination le "deal" ne tient plus. On offre qu'un dix au chauffeur qui se rebiffe. On le menace, il appelle la police, trois se pousse, une reste.
On frappe à la porte de sa chambre d'hôtel , quelqu'un à retrouvé son journal et le lui rapporte. Ce n'est pas le sien.
Elle pourrait être ma fille si j'avais été père à l'âge qu'elle a. J' hume son parfum et bois ses paroles. Elle apprécie ma conduite. J'essaie de bien me conduire.
La police arrive et celle qui est restée accuse le chauffeur d'avoir essayé de lui toucher les seins. Il est outré, elle est convaincante, les policiers passent les menottes au taximan.
C'est un journal écrit dans une langue qu'il ignore. Il donne quand même un petit quelque chose à celui qui le lui a apporté et ramène dans ses bagages le cahier pour essayer de décoder ce qu'il recèle.
On a beau se raconter des histoires, la course achève, je lève le pied, fais durer le moment.
La police est sur le point d'embarquer le chauffeur quand se présente un homme qui observait la scène de sa fenêtre. Sa version rétablira les faits.
Dans le journal qui s'avérera danois, le jeune homme trouvera l'adresse d'une danoise ravie de retrouver ses mots.
Une histoire dans l'histoire de l'histoire, des mots, des vies, une nuit, une course.
Voilà.
23 Comments:
Un récit brillamment écrit qui, plus que tous les autres, m'a ému. Sans doute parce qu’il m’a rappelé une époque de ma vie où je travaillais moi aussi de nuit. Un monde à part qui ressemble souvent à ce concentré de vie en accéléré que vous nous livrez ici.
Je vous lis depuis quelques temps maintenant. Merci de nous faire partager ces tranches de vie. Bravo aussi pour vos talents photographiques et les jeux de langages avec lesquels vous les illustrez si intelligemment.
Le plaisir de se perdre dans des histoires-tiroirs à doubles (ou triples) fonds...
Ça me fait penser à certains films de Lynch.
Yes!
Superbe.
"Des instants privilégiés figés par l'écrit."
C'est toi qui l'a dit!
Je suis déroutée
Mucho excellente!
d
Wow... La façon de raconter l'histoire est seulement... trop belle. Je me suis sentie comme dans un album photo. Je veux dire, des images pleins la tête, plutôt que des mots.
Quand les traits du visage qui se transforment selon les humeurs sans qu'on ne s'en aperçoive, ça veut tout simplement dire pour moi que c'est réussi.
Votre histoire est réussie!
Et la fille c'est la version féminine du voleur de CDs, la seule différence c'est que le chauffeur n'est plus complice mais victime...
100% faux , 100% vrai?? 50-50?? perplexe... mais divertissant comme tjrs!! :)
Bravo, tout simplement envoutant et intelligent.
Encore une fois bravo !!
épatant!
Bravo ! J'en ai le vertige...
j'ai rien compris,dsl
Ouuufffff !!! À relire 2-3 fois !! Incroyable !!!
Vraiment un beau billet!
Bien cette histoire, très bien.
Tu joues bien sur le mots ce qui ajoute un charme exquis à tous tes écrits.
Histoire d'un soir (d'une nuit je dirais) racontée dans un français impeccable.
Bravissimo ! Je n'auras pas su dire mieux. D'ailleurs, je ne sais pas si tu as une formation universitaire pour raconter tes anecdotes d'une si belle façon. Mais c'est bien dit :-)
@++
Tout comme j'ai fais pour Mère Indigne, je m'incline bien bas devant la position 31 du top 100 des blog de langue francaise...
Un gros Bravo!!!!!
je tiens à te féliciter pour ta 31ième position des blogs francophones les plus influents !!!
Tu es vraiment très fort !!
Depuis que tu m'as linké, je trouvais qu'il y avait un fort achalandage tout d'un coup !!! Je comprend maintenant pourquoi !!!
Merci encore et félicitations !!!
Wow !
inspiré comme texte! superbement écrit !
toujours un régal de te lire...
au plaisir,
MM
Des Fous de Bassan à Mouriale. Une lecture plaisante au point d'y revenir, encore. Comme d'hab, finalement.
Je n'était que de passage sur ce carnet après avoir lu ceci: http://www.michelleblanc.com/2006/10/12/blogs-quebecois-influents-la-suite/
mais j'ai addoré ces histoires croisées : je vais revenir !!!
Texte magnifique ! Certainement un des plus beaux lu sur "Un Taxi La Nuit" ! Merci à toi !
bon alors je en comprends pas trop mais c'est tellement beau et onirique...on dirait un rêve avec les blancs , les ombres, les flous et les changements de dimensions...merci de continuer de nous tenir en haleine..
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