L'homme aux valises
Je n'arrive plus à me souvenir à quoi ressemblait l'homme. On les croise sans faire trop attention. On détourne le regard de peur d'être contaminé. Ces âmes errantes, mal rasées et malpropres finissent par toutes se ressembler. Ils portent presque tous les mêmes vêtements aux couleurs des ruelles que le soleil n'éclaire plus. Ils traînent sur eux et en eux une saleté indélébile. Celui-là n'avait pas de signe distinctif mémorable. Mis à part l'odeur rance qu'il dégageait, je ne me souviens pas de lui.
Pourtant, j'ai longtemps vu et revu cet itinérant vendre des journaux dans les marches du restaurant Angela sur De Maisonneuve. Ouvert 24 heures ce resto se veut un détour obligé à la fin des "rushs" de fermeture de bars. Une nuit, alors que je m'attardais devant l'endroit, il s'est approché du taxi et m'a demandé si je voulais bien aller le reconduire chez lui. Habitué de se faire refuser la permission de monter à bord, il appuyait sa demande en me montrant sa poignée de change.
Je ne me souviens plus du type ni des mots que l'on échangea, mais je me souviens qu'il était d'une politesse que ne daignent pas utiliser la plupart de mes passagers que l'on considère comme des gens bien. Il me demanda dans un premier temps de l'amener dans le fond d'un parking près d'une série de bennes à ordures. Un racoin suintant la vieille huile à friture et où la crasse avait élu domicile fixe. J'ai ouvert le coffre pour qu'il transfère quelques sacs de vidanges qu'il avait planqués dans une de ces bennes. J'ignore ce qu'il y avait dans ces sacs. De la bouffe, des vêtements, des ordures? La valise du taxi fut vite remplie.
Ensuite, il m'indiqua une adresse sur la rue Tupper. Un immeuble à appartements bas de gamme qui déteint dans le paysage. Sur place, il me demanda de l'aider à monter ses sacs jusqu'à son appartement. Bien que je ne me souvienne plus de l'homme que j'accompagnai là en cette fin de nuit, je me souviendrai toujours de l'endroit où il vivait. Ce ne fut ni la saleté, ni l'odeur qui s'inscrivirent alors dans ma mémoire, mais l'image d'une pièce remplie de valises! Une quantité surréelle de valises de toutes sortes, couleurs, dimensions, époques. En métal, plastique, cuir, toile. Du plancher au plafond, des valises empilées. Aucun meuble, que des valises et encore des valises. J'en avalai ma salive.
Le temps que l'homme revienne avec mon du, je restai là, qu'une minute tout au plus. Mais l'image de cette pièce est inscrite dans ma mémoire à tout jamais. J'ai spéculé longtemps sur la provenance de toutes ces valises. C'était peut-être un ancien employé aux objets perdus ou dans une consigne de gare ou peut-être même un ancien maroquinier. Pourtant, j'ai le sentiment que l'homme les avait ramassées peu à peu au fil de ses errances. Des années de pas perdus et de déambulations pour amasser ces objets voués au voyage. À travers chacune de ces valises, l'homme s'offrait peut-être les plus belles odyssées, les plus longues croisières, les plus spectaculaires expéditions. Des périples où le soleil brille toujours, où les rêves ne se terminent jamais.
Je ne me souviens plus à quoi l'homme ressemblait. Mais je me souviens que cette nuit-là, c'est lui qui m'amena ailleurs.
Pourtant, j'ai longtemps vu et revu cet itinérant vendre des journaux dans les marches du restaurant Angela sur De Maisonneuve. Ouvert 24 heures ce resto se veut un détour obligé à la fin des "rushs" de fermeture de bars. Une nuit, alors que je m'attardais devant l'endroit, il s'est approché du taxi et m'a demandé si je voulais bien aller le reconduire chez lui. Habitué de se faire refuser la permission de monter à bord, il appuyait sa demande en me montrant sa poignée de change.
Je ne me souviens plus du type ni des mots que l'on échangea, mais je me souviens qu'il était d'une politesse que ne daignent pas utiliser la plupart de mes passagers que l'on considère comme des gens bien. Il me demanda dans un premier temps de l'amener dans le fond d'un parking près d'une série de bennes à ordures. Un racoin suintant la vieille huile à friture et où la crasse avait élu domicile fixe. J'ai ouvert le coffre pour qu'il transfère quelques sacs de vidanges qu'il avait planqués dans une de ces bennes. J'ignore ce qu'il y avait dans ces sacs. De la bouffe, des vêtements, des ordures? La valise du taxi fut vite remplie.
Ensuite, il m'indiqua une adresse sur la rue Tupper. Un immeuble à appartements bas de gamme qui déteint dans le paysage. Sur place, il me demanda de l'aider à monter ses sacs jusqu'à son appartement. Bien que je ne me souvienne plus de l'homme que j'accompagnai là en cette fin de nuit, je me souviendrai toujours de l'endroit où il vivait. Ce ne fut ni la saleté, ni l'odeur qui s'inscrivirent alors dans ma mémoire, mais l'image d'une pièce remplie de valises! Une quantité surréelle de valises de toutes sortes, couleurs, dimensions, époques. En métal, plastique, cuir, toile. Du plancher au plafond, des valises empilées. Aucun meuble, que des valises et encore des valises. J'en avalai ma salive.
Le temps que l'homme revienne avec mon du, je restai là, qu'une minute tout au plus. Mais l'image de cette pièce est inscrite dans ma mémoire à tout jamais. J'ai spéculé longtemps sur la provenance de toutes ces valises. C'était peut-être un ancien employé aux objets perdus ou dans une consigne de gare ou peut-être même un ancien maroquinier. Pourtant, j'ai le sentiment que l'homme les avait ramassées peu à peu au fil de ses errances. Des années de pas perdus et de déambulations pour amasser ces objets voués au voyage. À travers chacune de ces valises, l'homme s'offrait peut-être les plus belles odyssées, les plus longues croisières, les plus spectaculaires expéditions. Des périples où le soleil brille toujours, où les rêves ne se terminent jamais.
Je ne me souviens plus à quoi l'homme ressemblait. Mais je me souviens que cette nuit-là, c'est lui qui m'amena ailleurs.
22 Comments:
Encore une fois, l'émotion m'étreint. Quel beau texte... Merci d'écrire, Pierre-Léon.
J'aime beaucoup la ressemblance de valise et salive. Très touchant Pierre-Léon !
Je me suis déjà laissé dire que les émigrants non-reçus avaient l'habitude de se débarrasser de leurs valises au plus sacrant, en les jetant tout simplement.
On en voit souvent dans les ordures.
je te lis et je t'entends...
le terminus des valises, un peu comme des boîte à souvenirs...
vivre en se préparant à partir partout et nul part...
partout en fermant les yeux, nul part en regardant ses chaussures...
Merci de partager avec nous ces belles rencontres, taximan au grand coeur,
Sally Fée
histoire curieuse,que des aventures incroyables peut enfermer chaque valise... étaient de le ou non si les valises pouvaient parler et expliquaient tout ce qui était vécu et vu...
J'ai vu, j'ai senti, j'ai ressenti par tes mots ce scénario digne du début d'un film, il ne manquait que la trame musicale en arrière-plan que je peux très bien imaginer aussi.Pierre tu es entré dans mon imaginaire ce matin et ces images me suivront toute la journée. Je broderai une histoire dans ma tête pour continuer celle que tu as commencée....merçi.
J'attendais avec impatience le matin ou je pourrais vous lire a nouveau.
Merci pour ce beau texte, c'est un vrai cadeau en ce matin pluvieux. :O)
Fascinant. Un film avec une introduction semblable permettrait au cinéaste de revenir dans le temps et d'illustrer, par de petites historiettes, toutes les étapes qui ont conduit cet homme au moment présent...
tres joli texte. Je vais revenir.
Bonjour!
Tu collectionnes les parapluies perdus de clients.. il doit collectionner les objets incongrus se trouvant dans les doubles-fonds de ces valises abandonnées!
Oui, ça fait du bien un texte si bien écrit alors que dame nature fait égoistement la grève des sunshines! ;)
Superbe texte, encore une fois.
@bugs : moi aussi je m'interroge souvent sur le parcours qui à conduit quelqu'un jusque là...
Ouffff...Ça me rappelle quand j'habitais la région montréalaise dans les années 90.Ces itinérants que l'on ne voit même plus tellement ils font partie du décor...
A cette époque,je me disais: et si je finissais comme eux?Après tout,ils ne sont pas nés dans la rue...Personne n'est à l'abri d'un coup de sort...C'est pourquoi je les ai toujours respectés...
S.Dessailly,Val d'Or
Définitivement, t'es parti pour le Tome 2 mon cher. En un clin d'oeil, tes mots deviennent une suite filmée dans ma tête. C'est rare.
L'émotion est présente tout au long de ce texte magnifiquement écrit. Merci Pierre-Léon.
que dire...Tu pourrais écrire des scénario defilms, des romans, des nouvelles. Et je les lirais surement tous!
Tu as un petit je ne sais quoi qui ne peut laisser personne indifférent! J'attend le prochain avec impatience!
Que du bonheur !
que du bonheur ton écriture, Léon plus tu écris, mieux tu écris !
Et quelle grande âme se dégage de tes textes !
Te lire impose l'humilité..
zoz
je ne vous connaissais pas mais maintenant je vais vous fréquenter, merci pour cette fascinante évocation.
Elle nous amène à voyager sur le dos de l'imaginaire!
WOW! Je vient tout juste de me tapper ton blog au grand complet, un bon gros 6 heures de lectures.. il est 6:00 je m'en vais me coucher, lache pas ton beau travail et j'espère un jour t'avoir comme chauffeur! Merci d'avoir partager ces moments avec nous, les lecteurs.
Vous lire, c'est voyager et pas nécessairement à bord d'un taxi mais dans cet univers fascinant où vous savez nous amener avec tellement de charme, de talent et de douceur.
Merci!
Enregistrer un commentaire
<< Home