5.10.10

L'hippie fané

J'attends que la lumière change au coin de Saint-Denis et Viger quand s'avance vers le taxi un homme à la démarche pour le moins vacillante. Comme la soirée n'a pas été trop pire, j'ouvre ma fenêtre en fouillant dans la poche de mon pantalon où je loge mon change.

Ici aux abords du carré Viger, on trouve de manière quasi permanente un être en quête de quelques pièces pour aller manger, aller boire, aller se droguer ou aller se faire voir ailleurs. C'est un coin de prédilection, car la lumière est longue et les chars n'ont pas le choix de passer ici pour accéder au tunnel Ville-Marie.

Avec le temps, j'en ai vu de toutes les sortes, quêter sur ce coin. Dont ce type qui utilise son verre de carton comme objectif et son briquet comme flash pour photographier les automobilistes. Ou cette jeune fille qui se faufile entre les voitures avec un sourire qui donne envie de pleurer tellement il est beau. Ou ce gars qu'on croise nuit après nuit qui maigrit presque aussi vite que sa barbe pousse. Ou cet autre qui fait virevolter ses casquettes sur sa tête. Des heures et des heures de pratique. Représentations en toute saison. Une pièce à la fois.

J'en ai vu beaucoup traîner sur ce coin, mais ce type qui avance vers mon taxi, je ne l'ai jamais vu. Il a l'air d'un vieux hippie avec ses cheveux longs, son jeans sale et troué et ses sandales aux pieds. Il est grand et maigre sauf son visage boursouflé qui me fait deviner que l'homme en a bu d'autres.

Voyant son regard qui louche vers la portière arrière, je me rends compte que le beatnik ne me demande pas l'aumône. Il a simplement besoin d'un taxi. Je l'invite à monter et sa surprise m'indique qu'il a dû se faire refuser le service plus d'une fois. En tout cas, il ne se fait pas prier pour prendre place. Il est accompagné d'une odeur pour le moins écoeurante qu'il semble traîner avec lui depuis Woodstock. Une fétidité mêlée de fond de tonneau et de suées cocaïnées. Je réalise soudainement que c'est le début du mois et que le chèque est rentré. Le sourire béat de mon passager me le confirme.

Et hébété, il ne l'est pas qu'à moitié. Faut que je lui demande de me répéter trois fois sa destination. Il a l'onomatopée plus facile que l'hygiène. Pourtant, je ne m’en formalise pas. J'en ai vu et senti bien d'autres et pour tout prendre, je préfère ce type qui sent mauvais à une autre qui me fait chier.

Quand même heureux qu'il ne s'en aille pas trop loin. Je lui demande son nom et s'il a passé une bonne soirée. Mike me répond en s'étouffant. Une quinte d'un demi-kilomètre. Je lui demande s'il est correct? Il me demande s'il peut fumer une cigarette. C'est à mon tour de manquer de m'étouffer.

Quelques quintes plus tard, on se retrouve à destination sur la rue du Couvent à Saint-Henri. Le type me demande de l'attendre, car son argent est en dedans. Je pense un moment, lui dire de laisser faire, mais il semble tenir à me payer. Il revient quelques minutes plus tard en me tendant un billet bien craquant de 100 $. Le sourire qu'il me fait en me donnant le "brun" est impayable. Je lui rends son change et je lui tends la main.

Bonne fin de nuit Mike. Bonne fin de mois.

9 Comments:

Blogger hpy said...

A faire le taxi on doit en voir des vertes et des pas mures, mais je pense que si j'étais chauffeur de taxi, j'aurais bien hésité avant de faire monter Mike dans mon véhicule. Mais il est vrai, je ne suis pas chauffeur de taxi, et c'est peut-être toute la différence.
En tout cas, cela fait encore une belle histoire pour nous faire croire que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil.

10/05/2010 5:59 AM  
Anonymous Gabriel Marchildon said...

Bonjour Pierre-Léon. J'ai récemment trouvé ton blog en cherchant sur Google et je ne suis pas mécontent d'avoir trouvé un VRAI blogue, parce que, sincèrement, il y en a des blogues inutiles à la pelle. Une personne avec quelques choses à dire autre que "j'ai acheter l'album de XY" ... Je te félicite également pour ton initiative envers Mike. Même s'il n'a pas eu la vie facile, c'est tout de même un personne normal comme vous et moi et ça, plusieurs personne semble l'oublier de nos jours.
Je t'envoie un bonjour de Gatineau en attendant une autre super histoire à lire.

Gabriel Marchildon

10/06/2010 10:58 PM  
Anonymous Anonyme said...

Beau texte comme d'habitude!
Je souligne l'effort que tu mets dans ton blog.

Pat

10/09/2010 10:37 PM  
Blogger jose said...

Hacía un tiempo que no visitaba tu blog, a pesar de conocerlo y tenerlo enlazado desde siempre, hoy he probado con Chrome y su traductro automatico, y bueno es más comodo aunque pierda el sentido algunas veces.

100 dolares supongo que te dejo sin cambio.

10/14/2010 2:18 PM  
Blogger Marc-André said...

Salut Pierre-Léon!

Cela fait près de 2 semaines que j'ai découvert ton blog et je viens de terminer toutes les archives!! Vraiment chapeaux! J'ai vraiment dévoré chacun de tes ''posts''. C'était vraiment divertissant. On voit tout suite que t'as l'air d'un bon jack!!!!! J'espère un jour tomber sur toi lorsque je me ''callerai'' un taxi!! Je cours acheter tes livres, trop le goût de poursuivre l'aventure!!!!

Longue vite à UN TAXi LA NUiT!!!!

10/19/2010 5:22 PM  
Anonymous Anonyme said...

Saturnino: mais qu'est-ce que tu nous racontes?? Parle-donc français!

10/22/2010 1:40 AM  
Anonymous Anonyme said...

une recherche de 30 secondes m'a ammenée a trouver une traduction, replacer le tout pour avoir le sens exact prendrait 2 minutes de plus a peine... faut faire l'effort de chercher un peu quoi
(Elle) faisait le temps qui ne visitait pas ton blog, bien qu'il(elle) l'ait connu et l'avoir comme lié depuis, toujours, aujourd'hui j'ai essayé avec Chrome et son traductro automatique et bon est plus confortable bien qu'il(elle) perde le sens parfois.

100 dollars je suppose que je te laisse sans changement(échange).

10/22/2010 10:33 AM  
Blogger Unknown said...

Saturnino dit qu'il peut lire le blog grâce à Google Chrome et sa traduction intégrée. Tu vois, anonyme (…) pas besoin de crier à l'impureté. Ce monde-là date de 1950

10/25/2010 3:01 AM  
Blogger Unknown said...

Ah oui Léon, je voulais dire: l'épiphanie de l'hippie fané ;-)

10/25/2010 3:03 AM  

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