23.8.11

Georges Bush

Je viens de déposer une cliente à Verdun et l’ordinateur de bord me signale que je suis le premier dans la zone. Je m’attarde donc dans le secteur et lentement je me dirige vers le poste à côté du métro de l’Église. Sur place se trouvent déjà deux taxis Pontiac-Hemlock et sur le trottoir près d’eux, un homme tenant un boxer en laisse. Il a un aspect un peu douteux et louche vers moi.

- Ça te dérange pas les chiens boss?

Il ne me laisse pas le temps de répondre et me demande combien couterait un aller-retour jusqu’au fin fond de ville LaSalle. Il ajoute qu’il est diabétique, que son frère là-bas a son argent pour payer ses médicaments, qu’il ne se sent pas trop bien, que son chien a fait ses besoins et que je n’aurai pas de trouble avec lui.

Pendant qu’il me vend sa salade, je sors mon livre de rues pour localiser l’adresse du frangin et me faire une idée de l’itinéraire et du prix. Ça me permet également de prendre un peu plus de temps pour jauger le type qui n’a pas l’air des plus commodes.

Je crois à moitié ce qu’il me raconte. Si ça se trouve, il va juste chez son « pusher » chercher sa dose et il s’invente un scénario plus propice pour qu’un chauffeur l’embarque.

Malgré mes doutes, j’accepte de le conduire. Il accepte le prix que je lui propose et grimpe à bord accompagné de son chien qui vient me foutre son museau dans l’oreille.

- Assis ! Georges Bush.

- Euh!? Ton chien s’appelle Georges Bush?

- Mouhain, stun chien qui vient du Texas...

Je ris dans ma barbe de trois jours en me disant que le gars a un drôle de sens de l’humour. Il me demande une cigarette, je lui dis que je ne fume pas. Il me reparle de son diabète et de son frère, un ostie de rat. Il lui mettrait bien sa main dans face, tout comme à son propriétaire qui cherche a le mettre dehors. Il me parle ensuite de son père qui est mort, qu’il a caché 13000 belles piasses sans leur dire à quelle maudite place.

Jusqu’à destination, il va continuer de se lamenter. Je l’écoute me raconter ses récriminations en me disant que ça fera quelque chose de drôle à raconter.

Arrivé devant le triplex de LaSalle, il sort en me laissant son chien. La porte n’est pas sitôt fermée que le boxer se met à geindre. Je lui dis : « fais-toi z’en pas Georges, il va revenir ton maitre », mais ce dernier niaise sur le balcon. Il frappe et sonne, mais la porte ne s’ouvre pas. Il lâche un cri et une lumière s’allume enfin. Le chien glisse sa tête entre mon appui-tête pour sortir la sienne par ma fenêtre entrouverte. Je continue de lui parler doucement tout en observant mon client entrer dans l’appartement. Je vois des voisins curieux observer ce qui se passe dans la rue, je nettoie mes lunettes tout en continuant de jaser avec Georges Bush.

Cinq minutes plus tard, le type est de retour et me rassure en me payant la course. Il me demande d’arrêter dans un dépanneur où il s’achète un paquet de cigarettes, une grosse barre de chocolat et une bouteille de jus d’orange, qu’il va engloutir en deux gorgées.

Une fois reparti pour revenir au point de départ, je me dis que son histoire de taux de sucre n’était pas une invention. Je lui permets de s’allumer une cigarette et ragaillardit il va compléter le pathétique portrait entamé à l’aller.

- J’suis content d’être embarqué avec toé.

- Comment ça?

- Les deux taxis en avant de toé, c’était des crisses de nègres!

- ...

- J’déteste les races. Y’en a trop icitte. Je les passerais toutes.

Je reste silencieux et serre les dents pour ne pas réagir. Il continue de déverser sa haine raciste. Il me parle de ses amis skinheads néo-nazis texans et comment ça se passe dans le sud pour les crisses d’importés.

Je réalise que le pauvre chien n’a pas hérité de son sobriquet par dérision, mais par conviction.

Un moment donné, je cesse de l’écouter et je complète la course comme il se doit.

Je ne suis qu’un chauffeur de taxi.

Je ne choisis pas mon monde.

Je ne peux pas changer le monde.

Mais je sais que quelqu’un, quelque part, a baptisé son chien Obama ou Nelson Mandela...

13 Comments:

Blogger Sophie Legendre said...

Ça doit prendre beaucoup de patience, pour rester calme, et prendre des notes en se disant que ça fera une bonne histoire. Bravo, ça a valu la peine, j'ai bien apprécié cette lecture.

8/23/2011 7:46 AM  
Blogger Yuan said...

Dis moi une chose P.L.
Ça arrive ty que le racisme soit dirrigé dans le sens inverse?
Je veux dire, depuis le temps que tu conduis, as tu déjà entendu, par exemple , des Noirs "basher" sur les Latinos ou sur les blancs, ou des Arabes déblatérer sur les Juifs, ect.?

8/23/2011 8:23 AM  
Blogger Yuan said...

Je suis bien conscient que la question que je te pose peut être assez embêtante.

8/23/2011 9:01 AM  
Blogger Arielle said...

Je pensais que cette histoire allait se terminer sur une note positive, mais ça ne peut pas toujours être le cas. On prend d'abord le gars un peu en pitié, avant de se rendre compte qu'au final, ce type est capable de mettre tout le malheur du monde sur le dos de minorités qui n'ont rien demandé. Les néo-nazi à Montréal sont une plaie, ils font honte à ma ville. Bon courage!

8/23/2011 11:26 AM  
Anonymous Anonyme said...

@Yuan: J'ai moi-même souvent entendu des noirs "basher" sur d'autres "races"... Blanc, asitatique, latinos et même les autres! Être raciste de sa propre couleur!

8/23/2011 3:58 PM  
Anonymous Libraire philanthrope said...

Me rappelle plus quel auteur a écrit que la stupidité n'a pas de drapeau. C'est clair qu'elle n'a pas non plus de spécificité ethnique, le potentiel face à la stupidité me semble réparti assez également à travers la planète. La question est plutôt : est-elle moins excusable dans une société "développée" comme la nôtre?

Ce qui m'inquiète dans ton histoire, c'est que ce gars-là a le droit de voter...

8/23/2011 6:16 PM  
Blogger Pierre-Léon Lalonde said...

Tant que l'homme sera ce qu'il est, il y aura de l’intolérance. Mais ce type était vraiment exécrable...

8/23/2011 8:22 PM  
Blogger crocomickey said...

Essti que tu l'as !

:-)

8/24/2011 7:38 AM  
Anonymous Anonyme said...

SylvieGrenouille dit:

"Mais je sais que quelqu’un, quelque part, a baptisé son chien Obama ou Nelson Mandela..."

Ou Jack Layton. Jack Layton qui voulait changer le monde, d'après sa lettre d'adieu.

8/24/2011 3:33 PM  
Anonymous Anonyme said...

Mon chien à moi s'appelle Jack :)

Des racistes qui se permettent d'en parler comme si on allait approuver leurs propos parce qu'on a la même couleur, ça me répugne !!

8/25/2011 10:17 AM  
Anonymous Lyxs said...

Bonjour!
je découvre votre blog et Montréal avec un grand plaisir, votre plume est éloquente et cocasse :)
vos sujets variés et fins, votre métier une belle source d'inspiration... j'espère que vous continuerez à nous raconter vos pérégrinations!
cordialement, Lyxs du sud de la France

8/27/2011 11:18 AM  
Blogger Mélanie Calvé said...

J'aime la dernière phrase! :)

9/27/2011 12:53 AM  
Blogger Rachel said...

Ouf. Ça prend tout une dose de patience et de courage pour faire un tel travail. Chapeau!

10/10/2011 8:38 PM  

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