« Les vacances ont été bonnes? » Me demande le patron sur un ton voulant dire : Tu oses prendre dix jours de congé alors que je ne peux me permettre de quitter mon garage plus que dix minutes?
Sur ton qui veut dire : Oui merci, je lui réponds : Oui merci.
Je ne vois pas pourquoi je relèverais son sarcasme, c’est son choix de dormir dans son garage et d’en prendre les couleurs. Il est gris, amaigri, aigri.
« Tu vas prendre le 2047. » Inutile de prendre un ton particulier. Il me loue le pire taxi de la flotte. Le mulet. Ça signifie que je vais me faire brasser d’aplomb. Que je vais respirer les émanations du moteur et que ça va me coûter 10 $ d’extra d’essence pour la soirée.
Je ne dis rien, décroche les clés, paie ma location, sors du garage et remonte lentement l’avenue dans la grisaille d’une nuit qui s’annonce longue. Dans l’air froid, je sens la fumée d’un feu de bois. D’une cheminée monte des cendres.
Évidemment, le taxi n’a pas été lavé. Il est couvert de plusieurs couches de sel. Eh Madame! Vous en voulez des nuances de gris?
Je pénètre dans le véhicule et je démarre la bête. Le son toussotant du moteur de l’auto m’indique qu’il ne passera probablement pas l’hiver. Il en aura vu de toutes les couleurs.
Je vérifie la jauge d’essence, installe mon permis de travail, initialise le terminal, ajuste la banquette et les miroirs. Je file une grimace au type aux tempes grises dans le rétroviseur.
Une autre année s‘enclenche, une autre nuit s‘engage. Je tiens bon, m’agrippe au volant et poursuis mes pérégrinations.