Dans l’actualité récente, il a été question d’agressions et de vols envers des chauffeurs de taxi. Faut être mal pris en maudit et surtout pas mal minable pour s’attaquer à des travailleurs qui peinent à faire le salaire minimum. Nous sommes des plus vulnérables sur la route et même si en général les gens de Montréal sont sympas et se respectent, on est pas à l’abri d’un « petit trou de cul » prêt à nous faire la peau pour moins d’une centaine de dollars.
Jusqu’à maintenant dans ma carrière, rien de sérieux ne m’est arrivé. Je touche du bois!
Mais ça a passé proche à quelques reprises…
J’arrive devant l’adresse et j’attends. Ça ne vaut pas la peine de s’énerver, c’est dimanche et la soirée est super tranquille. De plus, je vois bien qu’en haut des marches on semble plus ou moins s’activer derrière les rideaux.
Après quelques minutes d’attente, je vois descendre des marches un couple pour le moins vacillant. Le gars est en boisson et cache tant bien que mal une bouteille de vin dans son blouson. Il a une gueule de boxeur qui ne semble pas avoir remporté beaucoup de matchs dans sa vie. La fille pour sa part semble sur le point de tomber au tapis. Elle gazouille des mots que je n’arrive pas à comprendre. Outre le fait qu’elle soit complètement naze, elle a l’air d’une donzelle de quatorze ans gros max.
Déjà, je suis sur mes gardes mais pour être cool et ne pas me les mettre à dos dès le départ, je dis au mec en pointant de la tête la bosse sous son blouson, de faire attention pour ne rien renverser.
- Ok boss! Bring us to the Parking boss!
- You mean the club on Amherst?
- Yep that’s the one awright.
Ce club est connu pour sa clientèle gaie et lesbienne mais parfois y’a des DJ’s invités qui attirent un public plus large. Déjà ça m’informe qu’ils ont probablement pris des speeds, de l’extasy ou quelques autres comprimés.
J’essaye de trouver quelque chose de bon à la radio et clanche autant que possible pour les étourdir ce qu’il faut. Dans le tunnel Ville-Marie on sent bien les courbes… De temps en temps je regarde le gars dans mon rétro et plus ça va, plus je sens qu’il y a quelque chose qui cloche dans son attitude. Je trouve ça d’autant plus bizarre que ce sont des passagers qui ont téléphoné et qui ont donné une adresse pour qu’on aille les chercher. Quelqu’un qui veux faire un coup, n’est pas aussi stupide. Mais n’empêche que je trouve le gars pas mal louche. Appelez ça un sixième sens ou l’expérience mais je décide de me mettre à jaser avec lui pour m’assurer de ses intentions.
Après une couple de questions banales sur ce qui se passe au club où l’on se dirige et sur le prix que ça coûte, etc. le gars un peu énervé me demande alors si je travaille dans la police! Ce à quoi je réponds qu’on ne peut jamais être sûr de rien dans ce bas monde… En soutenant son regard dans le miroir je lui mens que je connais même des chauffeurs qui sont membres des Hells Angel. Le reste de la course s’est faite dans le silence, mais déjà, je sentais que le gars avait perdu de son assurance. Il n’avait plus la même tension dans le taxi.
À destination, le gars fouille dans ses poches et ça niaise. Il sort des papiers de toutes sortes. Rien qui ressemble à des billets de banque. Il demande à la fillette de lui filer des sous. Mais la fille est encore plus dans les vapes qu’au départ et a l’air de se demander ce qu’elle fout là. Le gars sort de l’auto et reste à mes côtés en continuant de fouiller dans ses poches et plus ça va, plus je me rends compte que je ne serai pas payé pour cette course. Le gars semble complètement parti et je sais que sortir du taxi pour commencer à argumenter pour une quinzaine de piasses sera une perte de temps et d’énergie que je n’ai juste pas envie de subir. Je dis donc au gars d’aller se faire foutre et je lui dis que c’est à cause de type comme lui que les taximan passent tout droit quand ce sont des blacks qui nous demandent de les prendre. Je repars sur les chapeaux de roues, frustré de rouler dans le vide.
Un peu plus loin, je regarde derrière moi où le gars était assis et me rends compte qu’il a laissé sa bouteille vide sur le plancher. Je me range donc sur le côté pour aller la chercher et m’en débarrasser. En ouvrant la portière, à côté du « corps mort » sur le plancher se trouvait un couteau de cuisine presqu’aussi long que la bouteille…
Mon sang n’a fait qu’un tour! Ça m’apparaissait clair maintenant que le gars voulait me faire. L’attitude arrogante, les questions sur la police, le niaisage dans l’auto…
J’ignore encore pourquoi, mais la première réaction que j’ai eu a été de retourner devant le Parking pour retrouver le type. Je bouillais. L’adrénaline sans doute. Avec le recul, je crois que je voulais avoir une meilleure idée de ce que le type avait l’air.
Ils n’étaient pas dans la ligne d’attente et déjà je savais que le gars espérait faire une petite passe de cash pour pouvoir y entrer.
C’est sur la Catherine un peu plus loin vers l’est que j’ai retrouvé le couple. Je les ai croisés lentement en me demandant quoi faire. Je ne réfléchissais pas trop normalement.
J’ai refais le tour du bloc en me disant qu’il faudrait bien que je signale le 911.
Quand je les ai recroisés de nouveau. Ils avaient fait demi-tour et se dirigeaient maintenant vers l’ouest. C’est alors que j’ai aperçu un véhicule de police juste devant moi. Je me suis mis à sa hauteur et lui ai raconté rapidement l’histoire en lui montrant le couteau.
Vous savez ce qu’il m’a répondu ce policier?
- T’as juste à jeter ça dans une poubelle.
J’ai bien vu dans sa face que je le dérangeais… Il aurait fallu pour bien faire que je sois égorgé pour qu’il réagisse un tant soit peu. J’ai eu beau lui dire que le gars était encore là, pas très loin derrière nous. Pas de réaction.
Ce soir là je suis passé par toute une gamme d’émotions allant de la peur à la frustration, de la rancœur à la haine et je me demande encore au bout du compte qui je déteste le plus dans cette histoire. La police ou le voleur!
Reste que maintenant, je remercie encore le ciel qu’il ne se soit rien passé de plus fâcheux ce soir là. Et je continue de toucher du bois…