— Z'êtes québécois M'sieur?
Je viens d'embarquer ce kid dans le quartier de la pointe Saint-Charles. Il a un look vaguement hip-hop avec une casquette défraîchie de travers sur la tête. Il porte un vieux jean sale et une camisole de basket d'une équipe que j'ne connais pas. Il porte aussi sur lui une odeur de "skunk" typique des gros fumeurs de "pot". Il veut que je l'amène à Verdun pour le spectacle de Robert Charlebois.
— Ben oui j'suis québécois comme tu dis.
— C'est rare qu'on embarque dans un taxi astheure pis qu'c'est un vrai québécois qui chauffe.
— Un vrai québécois? Qu'est-ce tu veux dire par là?
— Ben que ce soit pas une estie d'race là! Un nègre ou un tamoul, tsé veux dire?
Eh! Que je me sens fier d'être québécois quand on me sort ce genre de réplique. Le pire c'est que j'en entends tellement souvent des commentaires xénophobes que je n'en fais presque plus de cas. J'ne dépenserai certainement pas ma salive pour convaincre un sale raciste. Mais ce qui me frustre, c'est que d'emblée, on me considère comme l'un des leurs. J'n'ai pourtant pas le look de "Taxi 22" ! Ça m'écoeure que l'on me prête des intentions à cause de la couleur de ma peau... D'ailleurs quand j'embarque des immigrés, je sens presque toujours une certaine méfiance. C'est triste.
J'aurais le goût de jouer au cave et d'abonder dans le même sens que mon passager juste pour voir où sa haine va. Mais je n'ai pas envie. Je change rapidement de sujet pour ne pas m'énerver.
— Tu trippes là-dessus Robert Charlebois?
— Pas vraiment. Moi j'aime plus le rap.
— Ah ouain? On vient juste de passer une toune de Loco Locass à radio.
— Bof! Eux aut' j'les trouve poche. Du rap en français c'est platte.
— Ah! Qu'est-ce t'aime comme groupes?
— Ben Fifty Cents, des affaires de même.
— Mais Fifty Cents, c'est pas un nègre comme tu dis?
— Ouain mais c'est pas pareil.
— Ah! Comment ça, c'est pas pareil?
— Ben j'sais pas genre, lui y'a des bonnes tounes pis toute là! Yé chill!
— (...)
J'me rends bien compte que ça ne servira pas à grand-chose de chercher à débattre avec le jeune. C'est clair qu'il cherche des repères auxquels se rattacher et qu'il est un peu pas mal mêlé. C'est triste.
Alors que la course s'achève y'a "Ent'deux joints" qui me vient en tête...
Mais aussi "Ma patrie est à terre"...
"J'grandis pas j'raptisse
J'dors su'l'banc d'en arrière
J'fais dans une chaudière
J'voudrais ben rouler
Mon bazou est stâlé
J'voudrais ben rouler
Qui, qui veux m'booster
J'sais pus kessé faire
Ma patrie est à terre
J'voudrais ben rouler
Autour de la terre
J'voudrais ben rouler
La tête à l'envers
J'sais pus késsé faire
Ma patrie est à terre
Rouler, rouler, rouler
Rouler, rouler, rouler
Rouler, rouler, rouler
Rouler, rouler, rouler"
(Pierre Harel - Offenbach)